Dans
le domaine des sciences cognitives, certains malentendus les plus répandus et
les plus persistants sur la fonction du cerveau et son rôle dans
l'apprentissage sont appelés neuromythes. Ils sont l’un des objets
d’étude du domaine de la neuroéthique. Ils consistent en une diffusion d’idées
fausses qui peuvent affecter de nombreux domaines, dont l’approche scientifique
de l’éducation. En effet, ces derniers temps,
un nombre croissant d’idées fausses concernant le cerveau et les apprentissages
ont commencé à circuler. L’éducation est concernée par ces neuromythes qui prennent
souvent la forme de théories sur la façon dont on apprend. Elles naissent d’un
fait scientifiquement exact, ce qui les rend d’autant plus difficiles à
identifier et à réfuter. Ces neuromythes sont incomplets, exagérés, voire
totalement faux. Il semble donc important de les disqualifier afin d’éviter de
trop gros retentissements sur le système scolaire. Les neuromythes sont
difficiles à dissiper car ils sont basés sur, ou peuvent contenir, des éléments
de science éprouvée.
Le
projet Cerveau et Apprentissage de l'Organisation de coopération et de
développement économiques (OCDE) du Royaume-Uni définit un neuromythe comme «
une idée fausse générée par une incompréhension, une lecture erronée ou une
sous-estimation scientifique mises en place (par la recherche sur le cerveau)
pour plaider en faveur de l'utilisation de la recherche sur le cerveau dans
l'éducation ou dans d'autres contextes » (OCDE, 2002).
Causes de l’apparition et du maintien
des neuromythes
Les
neuromythes proviennent souvent de la généralisation excessive de la recherche
scientifique. Par exemple, les recherches sur la spécialisation et la
domination de l'hémisphère ont donné naissance au mythe selon lequel les gens
ont un cerveau plutôt à droite ou à gauche, et que l'équilibre entre les deux
est un effet souhaitable qu'il ne faut pas tenir pour acquis.
Conséquence: des formations spéciales sont proposées pour amener le
cerveau à l'équilibre. Ce neuromythe découle en
partie des découvertes dans les littératures neuropsychologiques et des
neuroimageries démontrant la latéralisation de certaines compétences
cognitives, à savoir le langage. Le fait que certains neuromythes soient
vaguement basés sur des découvertes mal comprises ou trop exagérées peut en
rendre certains difficiles à dissiper.
Certains
neuromythes sont des distorsions de faits scientifiques, c’est-à-dire qu’ils
résultent de simplifications excessives des résultats scientifiques. Ils
peuvent également être le produit d’hypothèses scientifiques maintenues pendant
un certain temps, puis abandonnées en raison de l’émergence de nouvelles
preuves, comme dans le cas de l’effet Mozart. L’effet Mozart affirme qu’écouter
du Mozart améliorerait les compétences spatiales. Démontré dans quelques
études, cet effet a finalement été discrédité par de nouvelles recherches, mais
il aura tout de même coûté 105 000 dollars au gouverneur de la Géorgie(Etats-Unis) qui a investi dans des CD musicaux pour, soi-disant, favoriser le
développement des nouveau-nés.
Des
mythes peuvent naître des interprétations erronées de certains résultats. C’est
le cas du mythe des trois premières années, affirmant que l’apprentissage
dépend seulement de la croissance des neurones et de leur activité, et
qu’aucune autre période n’est aussi efficace que les trois premières années de
la vie pour l’apprentissage (en général), car c’est la période limitée
correspondant à une fenêtre de temps pendant laquelle se produit la croissance
synaptique. Le mythe ne prend pas en compte les différentes étapes de
maturation du cerveau humain et l’apprentissage prolongé de la vie basés sur
une plasticité cérébrale fonctionnelle plutôt qu’anatomique.
On voit des neurosciences partout!
La
neurophilie est un phénomène qui affecte à la fois les sciences et l’opinion
publique. Il s’agit de vouloir systématiquement rechercher des explications
biologiquement déterminées et causales, sans tenir compte d’autres facteurs,
comme des explications psychologiques. La neurophilie, ou
Brain-hype, ne touche pas que le domaine de l’éducation. En effet, les
neurosciences font désormais partie de la culture populaire : elles sont
présentes dans les fictions, dans les publicités, les promotions, les médias…
Cette présence publique pose deux grands problèmes liés à la génération de
neuromythes. Le premier concerne les médias, qui ne rapportent pas fidèlement
les véritables données des neurosciences et de l’imagerie cérébrale (67% des
données que les médias transmettent ne proviennent pas de cette technologie).
Le second est un facteur lié aux imageries et à la pensée générale qui dit que
les techniques d’imagerie vont permettre d’avoir un accès direct aux pensées,
sans tenir compte des processus complexes. Tout ceci crée des biais de
jugement, favorisant l’émergence des neuromythes.
Des enseignants et éducateurs -parfois- sous influence
Si
les médias ont leur part de responsabilité dans la génération des neuromythes,
les neurosciences sont également un domaine se prêtant à l’incompréhension et
aux fausses croyances. Il semble ardu de lire une image issue d’une imagerie
cérébrale sans avoir au préalable les compétences spécifiques pour la
comprendre. Les images des techniques d’imagerie ont une forte influence étant
donné qu’elles sont davantage lues et crues par les scientifiques et les
personnes en général, par rapport à un texte ou des graphiques. Il en va de même pour le jargon neuroscientifique : les
personnes ont tendance à croire davantage des informations utilisant le jargon
neuroscientifique, même si elles sont fausses. Les neurosciences sont plus
attrayantes car elles semblent plus concrètes et, pour les individus,
constituent une base scientifique solide (= réductionnisme).
C’est en cela que les enseignants peuvent être influencés par les neuromythes.
On pourrait d’ailleurs penser que les éducateurs, sensibilisés à une pensée
critique, ne seraient pas sensibles aux neuromythes et à leur transmission.
Cependant, l’augmentation du nombre de méthodes pédagogiques
pseudoscientifiques et soi-disant basées sur le cerveau atteste que la
neurophilie a acquis un intérêt pour l'éducation d'une manière qui peut être
déroutante et qu'un effort est nécessaire pour séparer le faux du vrai. En effet, les scientifiques et les éducateurs ne travaillent pas
ensemble à la production commune de théories et de pratiques éducatives inspirées
par le fonctionnement du couple cognition-cerveau et conformes aux objectifs de
l'éducation. Il est probable que dans un tel cadre, le nombre de neuromythes
serait considérablement réduit.
La prolifération des neuromythes due à de multiples facteurs
La
neurophilie et l’interprétation des neurosciences ne sont pas les seules causes
de la prolifération des neuromythes. Les illusions, les heuristiques et les
biais de raisonnement participent à la naissance et au renforcement des neuromythes,
notamment par la résilience des idées fausses. Les illusions concernent des
croyances communes résistantes aux connaissances, même si la personne reconnaît
l’erreur, l’illusion persiste. Les heuristiques (voir l’article dans la
rubrique neuropsychologie sur« Les heuristiques»)
et les biais sont des raccourcis, des chemins automatiques facilitant la prise
de décision qui peuvent parfois produire des déviations du raisonnement
considéré comme rationnel.Ces
raccourcis empruntés par les biais cognitifs sont très présents et favorisent
l’apparition des neuromythes et leur stabilisation dans le temps. On peut donc penser qu'un certain nombre de biais cognitifs favorisent
la persistance et la transmission des neuromythes.
Interpréter pour confirmer des
croyances ancrées
Pasquinelli (2012) a relié
trois biais cognitifs aux neuromythes. Le premier est la fonction apaisante que
semblent remplir certains neuromythes, facilitant les fausses croyances.
L’adhésion aux neuromythes a été corrélée avec la précarité éducative du pays.
Lorsque les enseignants sont difficilement payés, quand le niveau aux examens
des élèves est bas, les neuromythes sont plus présents de par la complexité de
certaines situations scolaires.
Le
biais de confirmation est également très répandu. Il s’agit de la tendance à
rechercher ou à interpréter de nouvelles informations d'une manière qui
confirme les croyances antérieures. Cela concerne la recherche de preuves
compatibles avec ses propres hypothèses et à nier, rejeter ou déformer des
preuves qui ne le sont pas. Bien que le biais de confirmation soit un phénomène
cognitif, il peut être alimenté par le désir de trouver des preuves à l'appui
de nos croyances. Le biais de confirmation peut également
favoriser une propension à la corrélation, qui est la perception d'une
association statistique entre deux phénomènes qui n’ont finalement aucun effet
sur l’autre. Par exemple, dormir avec des chaussures est
corrélé au fait de se réveiller avec le mal de tête. Peut-on en conclure que
dormir avec des chaussures fait mal à la tête ? Une explication plus
vraisemblable est que ces deux événements font suite à des soirées trop
arrosées. Corrélation ne veut pas dire causalité! Plus précisément, le
biais de confirmation peut prédisposer les professeurs à se préoccuper des
résultats positifs et à oublier les résultats manqués et à surestimer de ce
fait leurs interventions associées à une amélioration ultérieure. Le biais de confirmation a aussi l'avantage de nous aider à résoudre les
conflits au sein d'informations discordantes (comme dans l’effet Mozart) en
nous confortant dans nos propres opinions. Un éducateur sera donc plus susceptible
de chercher des sources scientifiques le confortant dans sa fausse croyance
plutôt que l’inverse.
Le
troisième biais concerne le changement conceptuel. Pour Deaudelin, Richer &
Dussault (2005), le changement conceptuel désigne le processus de modification
des représentations mentales d’une personne. Ces représentations sont
constituées de construits, de concepts et de croyances, entretenant des
relations entre eux. Le changement conceptuel est constitué de trois degrés de
changement différent qui renvoient à une simple addition, à une faible
restructuration et à une restructuration importante de ces représentations.
Cette définition du changement conceptuel évoque la difficulté de l’enseignant
à mettre à jour ses représentations mentales, ses concepts et croyances, ce qui
fait écho avec la définition plus singulière de Pasquinelli. Pour Pasquinelli
(2012), l’expression de changement conceptuel a été inventée afin de décrire la
tâche difficile qui consiste à surmonter des croyances fausses. Ces idées et
croyances faussées sont souvent résilientes de par le système de cohérence
cognitive (nous restons cohérents dans nos croyances, même lorsqu’elles sont
fausses nous continuons à y croire). Elles incluent des illusions
métacognitives qui se traduisent par une vision optimiste (surestimation) de
nos capacités cognitives, pouvant donc également conduire à une adhérence à
certains neuromythes, comme celui qui consiste à dire que l’humain n’utilise
que 10 % de ses capacités cérébrales.
Doudin,
Tardif & Meylan (2015) décrivent un quatrième biais correspondant à celui
de disponibilité. Il décrit la tendance des enseignants à se baser sur les
premières sources disponibles plutôt que sur des statistiques vérifiées. Les
auteurs évoquent également la tendance à oublier la source d’une information et
sa validité. Ces deux aspects du biais de disponibilité pourraient selon eux
expliquer en partie la résilience des neuromythes indépendamment de leur valeur
scientifique et pratique.
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