Pollution lumineuse : la biodiversité trinque

Pollution lumineuse : la biodiversité trinque

Depuis toujours, à la nuit tombée, la faune et la flore n’ont eu pour seule source de lumière que la pâle lueur de la Lune et des étoiles. Et voilà qu’un beau jour, l’être humain s’est mis à installer à tort et à travers une quantité phénoménale de points lumineux tout autour du globe.

Quand ces lumières artificielles s’invitent chez les écosystèmes, gare aux conséquences ! Si les effets délétères de la pollution lumineuse ont été démontrés chez l’humain, animaux comme végétaux s’en trouvent également perturbés… Et pas qu’un peu.


Vivre de lumière et d'eau fraîche

Pour vivre et s’épanouir, les plantes ont recours à la photosynthèse, processus au cours duquel, sous l’action de la lumière du Soleil, les feuilles transforment l’eau puisée dans le sol et le dioxyde de carbone capté dans l’air en sucres nourriciers et en dioxygène. Les éclairages artificiels peuvent-ils activer ce processus ? Des études ont montré que la pollution lumineuse de nos villes présentait une intensité trop faible (en comparaison à la lumière du soleil) pour déclencher la photosynthèse, à moins que la plante soit située à proximité immédiate d’une source de lumière.


Quand les arbres perdent la boule (mais pas leurs feuilles)

Mais ne nous réjouissons pas trop vite. Si l’intensité lumineuse causée par nos éclairages parasites est généralement trop faible pour jouer un rôle dans la photosynthèse, elle est néanmoins suffisante pour perturber la perception de l’alternance jour/nuit de la végétation. C’est ainsi que les arbres situés dans des zones fortement éclairées perdent leurs feuilles plus tard, les obligeant ainsi à mobiliser une énergie qui pourrait être employée pour d’autres fonctions. Par conséquent, le végétal risque de devenir plus sensible au gel et aux maladies. Le phénomène inverse se produit au printemps : les arbres les plus éclairés pourraient en effet bourgeonner jusqu’à 7,5 jours plus tôt que la normale. À nouveau, les ressources allouées à la croissance des feuilles ne peuvent plus être utilisées dans la lutte contre un éventuel gel tardif. Mais ce n’est pas tout : c’est en réalité toute la chaîne alimentaire locale qui peut s’en trouver déstabilisée. Car en temps normal, le bourgeonnement des arbres coïncide avec l’apparition de chenilles qui se font un plaisir de mettre ces petites feuilles tendres dans leur assiette. À leur tour, les oiseaux se font un pique-nique de chenilles, et ainsi de suite. Mais si les arbres bourgeonnent trop tôt, les feuilles ne sont plus si tendres quand arrivent les chenilles, qui peinent alors à se nourrir ; les oiseaux quant à eux trouvent moins de chenilles à se mettre sous le bec, et ainsi de suite… La pollution lumineuse, c’est bien beau, mais vous vous dites certainement que le réchauffement climatique n’est pas non plus franchement innocent dans ces dérèglements. Figurez-vous que les chercheurs ont prouvé que ces deux phénomènes étaient indépendants… mais que leurs conséquences sur la végétation pouvaient bel et bien s’additionner.


Pollinise-moi !

La santé des végétaux n’est pas la seule affectée : leur reproduction est aussi remise en question. En effet, comme elles ne peuvent pas se rendre en boîte de nuit, les plantes pour se reproduire comptent sur l’intervention d’une tierce partie : les pollinisateurs. Les plus connus d’entre eux sont les abeilles, mais moult espèces se chargent en réalité de cette tâche – le transport du pollen – quand elles viennent casser la croûte sur le pistil des fleurs. Or, d’après les observations d’une équipe de l’université de Berne, les fleurs situées en zone éclairée sont 62 % moins visitées par les pollinisateurs nocturnes (papillons de nuit, punaises, scarabées…), par rapport aux fleurs situées dans des prairies non éclairées. De surcroît, les fruits produits par l’une des plantes étudiées étaient moins nombreux.

Papillon de nuit visitant des fleurs de lantana Source : https://jardinierparesseux.com/2020/01/28/papillons-de-nuit-les-pollinisateurs-oublies/

Les pollinisateurs nocturnes en présence de lumière artificielle prennent moins le temps de s’alimenter, d’où le fait que les plantes soient moins visitées. Cela s’explique par le rôle que joue la lumière sur ces organismes. Il n’y a pas si longtemps à l’échelle de l’existence de notre planète, les seules sources lumineuses étaient la Lune et le ciel étoilé. Les insectes nocturnes, et la plupart des animaux nocturnes, se servent de ces sources de lumière naturelle inaccessible pour s’orienter. Or, notre lumière artificielle est atteignable et les insectes se retrouvent déboussolés. Comme vous l’avez sans doute remarqué, ils tournent jusqu’à l’épuisement autour des lampadaires. Tout ce temps passé à essayer de s’orienter est du temps en moins passé pour se nourrir, mais également se reproduire.


Il vaut mieux faire l’amour dans le noir

En présence de lumière artificielle, les papillons de nuit mâles font des parades plus courtes et les femelles pondent n’importe où. Les oiseaux diurnes vivant en zone urbaine sont également impactés. Avez-vous déjà entendu au printemps des oiseaux chanter en pleine nuit dans une ville bien éclairée ? En effet, cela arrive fréquemment que les mâles d’espèces d’oiseaux chanteurs, ne différenciant plus la nuit du jour, chantent la nuit pour attirer des femelles. Ce faisant, ils s’épuisent et deviennent moins attractifs pour celles-ci. Les amphibiens se servent de la nuit pour se camoufler des prédateurs. En présence de lumière, ils sont très exposés à la prédation et, de ce fait, les mâles vont émettre moins de vocalises. En conséquence, ils sont également moins repérés par les femelles et les accouplements vont mettre plus de temps à se produire. De plus, les amphibiens s’accouplent en formant des amplexus, les mâles vont rester accrochés aux femelles un certain temps. En présence de lumière, les mâles vont rester sur les femelles beaucoup moins longtemps et féconder moins d’œufs qu’habituellement, de l’ordre de moins 25%. Les femelles de milieux éclairés donneront naissance à moins de petits que celles en zone sombre dépourvue d’éclairage artificiel.


Couple de crapauds communs en amplexus. Le mâle, plus petit, est situé au-dessus de la femelle. Source : http://dico-sciences-animales.cirad.fr/liste-mots.php?fiche=7727&def=crapaud+commun


Buffet à volonté

En se regroupant tous autour d’une source lumineuse, les insectes nocturnes forment un garde-manger de choix pour leurs prédateurs. Certaines chauves-souris s'aventurent ainsi près de ces sources lumineuses pour se faire un buffet à volonté. Seules les espèces qui ont un vol rapide prennent ce risque car les rapaces nocturnes les guettent. Les autres espèces de chauves-souris sont lucifuges, c’est-à-dire qu’elles restent à distance de la lumière. Elles doivent ainsi se contenter des quelques insectes qui sont restés en zone sombre. Comme certaines espèces de chauve-souris, les araignées tirent profit de cette grande concentration d'insectes autour de points lumineux. Elles vont notamment avoir tendance à tisser leur toile à ces endroits stratégiques pour capturer une plus grande quantité d’insectes.


Sans proie, pas de prédateur

Bien que l’effet immédiat soit positif pour ces prédateurs qui tolèrent la lumière et ont accès à de la nourriture facilement, l’effet à long terme l’est moins. Cette prédation extrême entraîne une diminution du nombre d'insectes nocturnes, sans compter les insectes qui meurent d’épuisement ou brûlés par la chaleur de la lumière. À terme, cette diminution de proies va réduire le nombre de prédateurs, pouvant conduire à leur extinction. Les espèces nocturnes ou semi-nocturnes sont concernées telles que les chauves-souris et araignées, mais également des espèces diurnes comme les mésanges se nourrissant d’une espèce particulière de chenille de papillon de nuit.


Une forte attraction pour certains…

Tout comme les insectes, les oiseaux s’orientent grâce aux éléments lumineux naturels de la nuit et ceux-ci sont particulièrement utiles pour la migration. En effet, la plupart des oiseaux diurnes migrent de nuit. Attirés par la lumière, ils peuvent être désorientés et faire des haltes journalières dans des milieux pauvres en nourriture si ceux-ci sont éclairés la nuit. Beaucoup d’animaux aquatiques dont les poissons sont également attirés par la lumière. Pour un poisson migrateur tel que le saumon, les conséquences peuvent être très lourdes. La dispersion des alevins est un phénomène naturel consistant pour les jeunes poissons à quitter leur lieu de naissance pour des territoires plus attrayants et riches en nourriture. En présence de lumière artificielle, les alevins de saumons se dispersent moins vite, c’est-à-dire qu’ils mettent plus de temps que la normale pour se déplacer vers d’autres territoires, et sont plus petits au moment de cette dispersion. Ce retard de quelques jours pourrait affecter considérablement la survie de ces petits saumons.


… une barrière infranchissable pour d’autres

Les chauves-souris lucifuges ne sont pas les seules à fuir la lumière, la plupart des mammifères la fuient également. Les ongulés, comme le cerf et le chevreuil, peuvent être entravés dans leurs déplacements si leur territoire est soudainement coupé par une barrière lumineuse comme une route éclairée. De la même façon, les amphibiens se déplacent vers leurs zones de reproduction en évitant de passer par des endroits fortement éclairées.


Schéma représentant le territoire d’un animal, composé de trois zones principales (repos, alimentation et reproduction), impacté par la pollution lumineuse (représentée en jaune).


Sur le schéma ci-dessus, les traits jaunes sont assimilables à des routes éclairées et le cercle lumineux à une ville éclairée. Un animal nocturne et lucifuge ne pourra se déplacer vers sa zone d’alimentation et devra se nourrir ailleurs dans une zone moins riche en nourriture. De même, une partie de sa zone de reproduction est impactée par la lumière, ce qui pourrait nuire à ses chances de s’accoupler.


Un concept novateur : la trame noire

Face à ces barrières infranchissables par les animaux, le concept de trame noire a été inventé. La trame noire vise à favoriser les déplacements des espèces nocturnes ou semi-nocturnes en éteignant la lumière à des endroits stratégiques appelés continuités écologiques. Ces continuités écologiques sont les couloirs de déplacement entre les différentes zones indispensables au cycle de vie de l’animal et ces zones elles-mêmes. Ainsi pour restituer une continuité écologique entre les trois zones du schéma, l’extinction des lampadaires de cette route qui traverse le territoire de l’animal peut être envisagée pour favoriser la trame noire et donc la présence de cette espèce. Certaines communes font le choix d’éteindre complètement leur éclairage public en cœur de nuit (23 h-5 h). Grâce à cette mesure, elles ont constaté le retour de chouettes et chauve-souris. D’autres espèces plus discrètes en profitent également.


Extinction de l’éclairage public dans une commune française Source : Séverine Fabre, https://leprogres.shorthandstories.com/extinction_eclairage_nocturne_loire_haute-loire/index.html


Les communes ont aussi la possibilité d’équiper leurs lampadaires de LED, technologie qui permet grâce à des capteurs d’éteindre ou de diminuer l’intensité de l’éclairage dans une rue lorsque celle-ci est déserte. De plus, le faisceau de lumière peut être découpé de manière à éclairer uniquement la route (sans déborder sur les potentiels espaces naturels alentour). Enfin, le choix de la teinte de la lumière (la température de couleur) est important, car la biodiversité est moins impactée par un éclairage « blanc chaud » (à gauche sur l’image ci-dessous).


Illustration de la température de couleur de 1000 Kelvin (à gauche) à 10000 Kelvin (à droite) Source : https://www.lampesdirect.fr/temperature-couleur


Mais la force de la LED est aussi sa faiblesse : sa consommation électrique minime (en regard des précédentes technologies) pousse parfois à éclairer plus que de raison, tant en intensité qu’en nombre de points lumineux, au détriment de la biodiversité.

C’est pas Versailles, ici.



Voir l’article précédent sur les effets de la pollution lumineuse sur l’être humain : https://www.le-cortex.com/article/pollution-lumineuse-tous-perturbes



Sources : 1. https://www.lightpollutionmap.info/#zoom=2.78&lat=43.0521&lon=16.0263&layers=B0FFFFFFFTFFFFFFFFFF 2. Baker, B. J., and J. M. L. Richardson. "The effect of artificial light on male breeding-season behaviour in green frogs, Rana clamitans melanota." Canadian Journal of Zoology 84.10 (2006): 1528-1532. 3. Bliss-Ketchum, Leslie L., et al. "The effect of artificial light on wildlife use of a passage structure." Biological conservation 199 (2016): 25-28. 4. Knop, Eva, et al. "Artificial light at night as a new threat to pollination." Nature 548.7666 (2017): 206-209. 5. Mammola, Stefano, et al. "Artificial lighting triggers the presence of urban spiders and their webs on historical buildings." Landscape and Urban Planning 180 (2018): 187-194. 6. McLaren, James D., et al. "Artificial light at night confounds broad‐scale habitat use by migrating birds." Ecology Letters 21.3 (2018): 356-364. 7. Minnaar, Corneile, et al. "Stacking the odds: light pollution may shift the balance in an ancient predator–prey arms race." Journal of applied ecology 52.2 (2015): 522-531. 8. Riley, W. D., et al. "Street lighting delays and disrupts the dispersal of Atlantic salmon (Salmo salar) fry." Biological conservation 158 (2013): 140-146. 9. Touzot, Morgane, et al. "Artificial light at night alters the sexual behaviour and fertilisation success of the common toad." Environmental Pollution 259 (2020): 113883. 10. Van Grunsven, Roy HA, et al. "Behaviour of migrating toads under artificial lights differs from other phases of their life cycle." Amphibia-Reptilia 38.1 (2017): 49-55. Anses, Effets sur la santé humaine et sur l’environnement (faune et flore) des diodes électroluminescentes (LED), avril 2019 (https://www.anses.fr/fr/system/files/AP2014SA0253Ra.pdf) 11. https://www.youtube.com/watch?v=MKz9wOL2puI 13. https://journals.openedition.org/tem/4381#tocto2n7 14. https://www.ecologie.gouv.fr/arrete-du-27-decembre-2018-relatif-prevention-reduction-et-limitation-des-nuisances-lumineuses 15. https://www.cnrs.fr/fr/menace-sur-la-pollinisation-le-cote-obscur-de-la-lumiere-artificielle

16. https://www.reserves-naturelles.org/sites/default/files/fichiers/la_pollution_lumineuse.pdf 17.https://www.eure.gouv.fr/content/download/11081/68653/file/pollution_lum_et_biodiv.pdf

18. https://leprogres.shorthandstories.com/extinction_eclairage_nocturne_loire_haute-loire/index.html



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