La formation du cerveau et la mise en place de la pensée a
toujours fasciné les scientifiques. Mieux
connaître cette «grosse gelée» ouvre la voie à de nombreuses
possibilités autant technologiques que médicales. Le cerveau ne nous pas encore
livré tous ses secrets.
Ceci est la
deuxième partie d'une série d'articles sur l'origine d'une pensée. La première
partie peut être consultée ici. Cet article s'appuie largement sur les
connaissances acquises dans les articles précédents sur les neurones, les astrocytes, les oligodendrocytes et la microglie.
Il est fortement recommandé de les explorer en premier, pour un meilleur
plaisir de lecture.
Tout part du
cerveau
Après un mois de multiplication des cellules, le tube neural
devient la moelle épinière et le cerveau de l'embryon. Leur masse à l'intérieur
du proto-cerveau et de la proto-moelle épinière correspond à un ordinateur des
années 1970 : rien n'est câblé correctement, les messages d'erreur volent dans
tous les sens, les entrées sont encore le plus souvent illisibles et la
consommation d'énergie est énorme.
C'est le début
d'une communication bidirectionnelle entre la mère et l'embryonet, pour certains, le moment où
l'embryon commence à devenir un être vivant. C’est alors que le proto-cerveau a
la capacité de sonder et de communiquer avec le monde extérieur, avec son créateur
et son gardien : la mère. La communication est encore éparse mais, au fil du
temps, elle devient plus précise, plus intense et plus globale.
Les neurones commencent à se connecter les uns aux autres et
aussi à leur destination finale, les organes. L'étendue et la portée de leurs
actions sont encore minuscules en raison de l'absence d'oligodendrocytes, d'une
isolation adéquate, et de la faible population d'astrocytes capables de
surveiller les fonctions des synapses.
À ce stade, l'embryon présente de nouvelles caractéristiques
intéressantes telles que le cœur, le foie et d'autres organes qui seront
bientôt cruciaux. Il peut répondre, surveiller et ajuster plusieurs fonctions
comme le rythme cardiaque, les niveaux d'oxygène, la glycémie et plus encore.
Si la glycémie est faible, le cerveau peut maintenant
avertir la mère en produisant des neurotransmetteurs et des hormones, créant
ainsi cette envie de jus de cornichon et de mélange de pudding à la fraise que
les femmes enceintes ressentent parfois.
Des sens en
alerte permanente
Après plusieurs mois de recherche de différentes
combinaisons de goûts, les choses se compliquent de façon exponentielle. Le
bébé, qui est maintenant beaucoup plus gros qu'une orange, commence à
déchiffrer les signaux provenant de l'extérieur : il a fait pousser les organes
nécessaires pour capter ces signaux, tels que la peau, les oreilles et les
reins, les a câblés avec des neurones, les a isolés (un peu) avec des
oligodendrocytes et a mis en place des forces de l'ordre (bien que peu
nombreuses) sous la forme de microglies. Même l'équipe de gestion des déchets
est prête à intervenir sous la forme d'astrocytes ! Des milliers de signaux
inconnus doivent être triés, déchiffrés et traités. Le réseau neuronal doit
donc lui aussi être considérablement étendu. Le toucher est le premier sens à
se développer, les lèvres et les joues étant sensibilisées dès la 8e semaine,
puis d'autres parties du corps dès la 14e semaine. Le sens du goût peut se
développer vers la 12e semaine et celui du son vers les 22e-24e semaines.

Vue schématique du développement du
cerveau chez le fœtus. Les images individuelles ne sont pas à l'échelle.
Un grand
ménage pour mieux grandir
Au cours d'un processus de construction, il est préférable
d'avoir un excédent de matériaux plutôt que d'en manquer. Il en va de même pour
le développement neuronal. Le cerveau commence son voyage de développement avec
un nombre excessif de neurones qui ne sont encore reliés à rien et qui
acquièrent leur fonction en se connectant à d'autres neurones ou à des organes
au fur et à mesure de la complexité de la maturation du fœtus. Comme l'espace
et les emplacements de connexion sont limités, tous les neurones ne sont pas
dans la capacité de le faire.
L'élagage est le processus d'élimination et de remodelage
des axones et des synapses inutiles ou mal placés. Il s'apparente à la survie
des plantes où les jeunes pousses tardives et sous-développées ont du mal à
trouver l'eau et la lumière du soleil, et finissent par périr. Ce processus se
produit d'abord en masse dans le cerveau en développement et persiste tout au
long de notre vie. Il est essentiel pour le potentiel de remodelage du cerveau,
sa plasticité et sa flexibilité nécessaires pour s'adapter à l'environnement.
Chez le fœtus, c'est le gain de fonction et les fonctions d'ordre supérieur qui
nécessitent un élagage (comme le sens du goût qui remplace le sens du toucher
dans la bouche), alors que les nouvelles compétences, expériences et souvenirs
déclenchent un élagage dans le cerveau adulte.
L'apoptose est la mort cellulaire programmée ou la
démolition planifiée d'un morceau de tissu. Les doigts et les paupières sont
des exemples d'apoptose réussie à plus grande échelle. Le même processus se
produit dans notre cerveau à l'échelle individuelle, et persiste tout au long
de notre vie, comme le fait l'élagage. Dans les cerveaux fœtaux, il est
essentiel pour libérer l'espace des neurones qui n'ont pas eu la chance de se
fixer à quoi que ce soit. Ils sont les bâtiments errants qui doivent être
éliminés pour que le nouvel immeuble puisse être construit.
L'apoptose et l'élagage jouent tous deux un rôle important
dans l'amélioration et la rapidité de la coordination, le développement des
compétences cognitives et d'autres fonctions que nous appelons collectivement
l'expérience.
Une étape
cruciale: affronter les éléments extérieurs
Il est difficile d'imaginer le choc, l'impact, la quantité
de signaux générés par toutes les parties du corps désormais exposé : les
poumons, un appareil conceptuel jusqu'à présent, deviennent soudainement
vitaux. Avec eux, l'oxygène passe de l'état liquide à l'état gazeux. Les
muscles, jamais utilisés auparavant, sont sollicités à plein régime pour
maintenir un semblant d'équilibre. La peau devient le bouclier contre le Grand
Extérieur, exposée, s'oxydant, se consumant ! Le flux sanguin doit être plus
puissant pour pomper l'air gazeux partout. La nourriture n'est plus une
ressource facilement disponible, elle doit être introduite par l'alimentation !
Les microbes commencent à s'infiltrer dans tout le corps, et le système
immunitaire est à l'œuvre.
L'afflux de signaux et le manque de ressources disponibles
jusqu'à présent font qu'une chose l'emporte sur toutes les autres.
A l’assaut
d’un nouveau monde
Jusqu'à présent, il n'était pas nécessaire d'utiliser les
cordes vocales, et il n'y avait aucune chance de les utiliser. Il en va de même
pour les membres, les yeux, les oreilles, le toucher, la pression et tous les
autres sens.
Les fils, les neurones, étaient là, mais il n'y avait
pratiquement aucune lecture à en tirer. Comme des instruments inventés pour
attraper des airs encore à découvrir.
Une fois à l'extérieur, ces instruments captent de nombreux
signaux inconnus, et les neurones les transmettent au cerveau dans l'espoir
d'une quelconque reconnaissance. Le nouveau-né crie, se débat, fait de son
mieux. Et en plus, il apprend la cause et l'effet !
Quelque part au milieu de cette agitation et de cette
exploration, une pensée est née. Si je m'agite et pleurniche, je recevrai de la
nourriture, ce qui veut dire: «Gémir est une bonne chose si j'ai
faim.»
Une pensée
et beaucoup de questions
Où naît la pensée ? Y a-t-il des neurones (ou d'autres
cellules) qui en sont responsables ? Ou les pensées ne sont-elles qu'une
gigantesque série de données cousues ensemble ? Cela fait-il une différence ?
Le processus de pensée est-il déclenché par le plus grand
choc de notre vie, la surcharge d'impulsions linéaires jusqu'alors appelée
naissance ? Ou bien a-t-il commencé secrètement avant cela ?
Ces questions sont encore essentiellement de nature
philosophique en raison du manque d'outils, de méthodes et d'équipements de
laboratoire nécessaires pour déterminer avec précision la naissance de ce qui,
plus tard, engendre la créativité, l'imagination, les rêves et façonne notre
avenir.
Le développement prénatal est largement déterminé par des
facteurs génétiques et physiques, dont beaucoup sont sensibles à la composition
biochimique de l'organisme de la mère. Les toxines telles que l'alcool, la
nicotine et les drogues peuvent gravement entraver le développement du fœtus,
voire le tuer purement et simplement.
Le développement mental est un processus hiérarchique de
stratification et de câblage du cerveau, dans lequel les processus de niveau
supérieur, comme le langage, reposent sur des processus de niveau inférieur,
comme l'audition, qui repose à son tour sur d'autres processus de niveau encore
inférieur.
D'autre part, le développement postnatal repose en grande
partie sur l'expérience, sur l'apprentissage et l'acquisition de liens de
causalité. Des circuits cérébraux sains ont besoin d'expériences saines qui, à
terme, nécessitent une exposition à une grande variété de stimuli à un âge
précoce, lorsque la plasticité cérébrale est la plus grande et que le cerveau
peut stocker plus d'informations avec facilité !
Quelle que soit l'origine des pensées, une chose est sûre :
seul le changement permet le progrès, et seule la léthargie le détruit !
Sources :
- Dekaban, A.S. and Sadowsky, D.,
Changes in brain weights during the span of human life: relation of brain
weights to body heights and body weights, Ann. Neurology, 4:345-356, 1978
- Hepper, P., "Unraveling
our beginnings", The Psychologist, 18:474-477, 2005.
- Huttenlocher PR, Dabholkar AS.
Regional differences in synaptogenesis in human cerebral cortex. The
Journal of Comparative Neurology. 1997; 387:167–178. [PubMed: 9336221]
- Saladin, K (2011). Anatomy
& physiology : the unity of form and function (6th ed.). McGraw-Hill.
p. 541. ISBN 9780073378251.
- Kandel, Eric R. (2006).
Principles of neural science (5. ed.). Appleton and Lange: McGraw Hill.
ISBN 978-0071390118.
- Tierney A. L., Nelson C. A.
Brain Development and the Role of Experience in the Early Years. Zero
Three. 2009 November 1; 30(2): 9–13.
- BrainConnection.com [no longer
in function]
Commentaires : (0)
Aucun commentaire