Pollution lumineuse, tous perturbés

Pollution lumineuse, tous perturbés

En ville et même à la campagne, la nuit… il ne fait plus vraiment nuit. La faute à l’éclairage des rues, certes, mais aussi aux panneaux publicitaires, aux vitrines, aux monuments illuminés, aux stades, aux zones commerciales, aux ports et aéroports, aux phares des voitures, à nos habitations… Si elles nous semblent à la fois pratiques et esthétiques, toutes ces sources de lumière ont un impact sur nous, êtres humains, et sur les écosystèmes.



Un ciel artificiel
New York, 14 août 2003. Alors qu’une gigantesque panne de courant paralyse la ville depuis plusieurs heures, les New-Yorkais s’apprêtent à passer une nuit dans le noir complet. Le soir venu, les services d’urgence reçoivent un nombre inhabituel d’appels inquiets signalant l’apparition d’une traînée lumineuse dans le ciel. On s’apercevra rapidement qu’il s’agit en fait de la Voie lactée, la galaxie dans laquelle baigne notre bonne vieille Terre, habituellement invisible aux yeux des habitants à cause du halo de lumière bouchant le ciel de la mégalopole…


C’est un fait : plus de 80 % de la population mondiale vit sous un ciel pollué par des lumières d’origine humaine. En témoigne ce site qui cartographie l’évolution de la pollution lumineuse au fil des années (https://lighttrends.lightpollutionmap.info/).  Faites l’expérience : sortez vous promener vers trois heures du matin (si, faites-le), quand la nuit est la plus profonde. Levez les yeux. Si vous habitez en ville, ce n’est pas un ciel noir que vous verrez mais un brouillard gris-orangé, conséquence de la dispersion dans l’atmosphère des particules lumineuses (les photons) émises par nos éclairages artificiels. En effet, toutes les surfaces éclairées (routes, murs, arbres, roches…) réfléchissent une partie de la lumière qu’elles reçoivent. La plupart de ces surfaces sont dites « lambertiennes », c’est-à-dire qu’elles diffusent la lumière dans toutes les directions* : c’est grâce à cela que notre œil peut les voir.


Diffusion de la lumière par une surface lambertienne
(Source : https://e-cours.univ-paris1.fr/modules/uved/envcal/html/rayonnement/2-rayonnement-matiere/2-3-reflexion.html)


Toutefois, cette lumière réfléchie ne se contente pas de titiller notre rétine. Elle est à nouveau réfléchie par d’autres surfaces, y compris par les microgouttelettes d’eau en suspension dans l’air et par les particules fines générées par les activités humaines. En résulte ce halo lumineux perpétuel qui enveloppe les grandes villes sur un rayon de plusieurs kilomètres. Un cadre idéal pour peindre à la manière de Turner ? Si la pollution lumineuse empêche les astronomes amateurs et professionnels d’observer les étoiles, elle a aussi un sérieux impact sur notre santé.



Notre horloge biologique déréglée

Nos journées sont rythmées par différents processus biologiques, et notamment l’alternance veille/sommeil, qui se répètent selon un cycle de 24 heures. C’est ce que l’on appelle le cycle circadien. Ce terme a été composé à partir des mots latins « circa » (autour de) et « dies » (jour). Le cycle circadien est coordonné principalement grâce à l’horloge biologique, qui trouve son origine dans l’hypothalamus, une zone située au cœur du cerveau humain. Là, se trouvent deux entités appelées « noyaux suprachiasmatiques » composées de plusieurs dizaines de milliers de neurones dont l’activité électrique connaît un cycle d’environ 24 heures. En réalité, des expériences ont montré que ce cycle pouvait varier d’une personne à l’autre, de 23 h 30 à 24 h 30. Dès lors, il existe des facteurs extérieurs qui permettent d’affiner la durée du cycle circadien pour le caler sur nos journées de 24 heures. Le plus important d’entre eux n’est autre que… la lumière.


Au fond de notre œil se trouve la rétine, membrane composée de photorécepteurs que sont les cônes, qui permettent la vision des couleurs, et les bâtonnets, qui permettent la vision de nuit en noir et blanc. Ces photorécepteurs transmettent un signal nerveux au cortex visuel, grâce auquel le cerveau construit une image mentale de notre environnement. Mais ce n’est pas tout : les cônes et les bâtonnets sont aussi connectés à des cellules particulières : les « cellules ganglionnaires à mélanopsine ». Celles-ci réagissent aux variations lentes de luminosité, et sont reliées aux noyaux suprachiasmatiques (NSC). Ainsi, la lumière du jour active l’envoi d’un signal nerveux à notre horloge biologique. À l’inverse, lorsqu’il fait nuit, ce signal est interrompu. Grâce à ce stimulus extérieur, l’horloge biologique est capable de se synchroniser sur 24 heures. C’est aussi par ce phénomène que notre corps peut s’adapter en quelques jours à un décalage horaire.


Extrait du rapport de l'Anses Effets sur la santé humaine et sur l’environnement (faune et flore) des diodes électroluminescentes (LED)

La lumière, venant de la gauche sur le schéma, frappe le fond de la rétine (à droite). L’information émise par les cônes et les bâtonnets remonte ensuite par l’intermédiaire des cellules ganglionnaires jusqu’au cerveau.


Oui mais… Sous couvert de confort et de sécurité, toutes les sources de lumière qui nous environnent à la tombée de la nuit dérèglent malgré nous notre horloge interne. Si vous avez parfaitement conscience que la lueur dans votre chambre est due au lampadaire placé devant votre fenêtre, votre horloge biologique, en revanche, interprète ce phénomène comme la preuve qu’il fait encore jour. Et ce n’est pas sans conséquences sur une certaine hormone…



La fée mélatonine
On vous a longtemps fait croire que vous vous endormiez grâce au marchand de sable. En réalité, il s’agit plutôt de la fée mélatonine. Cette hormone est sécrétée essentiellement par la glande pinéale, qui reçoit ses instructions… des noyaux suprachiasmatiques. Donc de l’horloge interne ! En fait, la sécrétion de la mélatonine a lieu du soir au petit matin et connaît un pic en milieu de nuit. Cette hormone est la principale responsable du processus d’endormissement et, plus généralement, de la régulation du sommeil. Mais son rôle va bien au-delà : elle est le chef d’orchestre de la plupart des rythmes biologiques au cours desquels sont sécrétées les autres hormones qui gèrent notre corps. Ainsi, la mélatonine aurait une influence sur la température du corps, le système immunitaire, l’appétit ou encore la glycémie.


Mais, et c’est là que le bât blesse, la production de la mélatonine est inhibée dès lors que la rétine capte de la lumière. De fait, l’exposition à des sources de lumière artificielles alors qu’il fait nuit, en perturbant la sécrétion de la mélatonine, peut causer des dérèglements du rythme circadien et entraîner un risque accru de développer des troubles du sommeil, de l’alimentation, de l’immunité, de l’humeur… pouvant aller jusqu’à des cancers ou des dépressions. Rien de bien réjouissant, en somme.



Le problème des écrans

Les écrans, encore et toujours les écrans… Contrairement aux autres sources de pollution lumineuse, nous avons un entier contrôle sur ces objets. Mais pourrait-on s’en passer à la nuit tombée ? Difficile… 


Un rapport de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) a souligné en 2018 les effets potentiellement néfastes des diodes électroluminescentes (ou LED), qui composent les écrans, sur notre santé. En fait, par leur constitution, la plupart des LED émettent une grande proportion de lumière bleue. Or, les cellules ganglionnaires à mélanopsine de notre œil contiennent… de la mélanopsine (vous l’aviez ?), une protéine photosensible particulièrement réceptive aux longueurs d’onde situées autour de 480 nm : autrement dit, la lumière bleue. C’est là tout le problème : non seulement les écrans, souvent consultés avant d’aller dormir (télévision, téléphone portable…), apportent une dose de lumière artificielle à une heure où l’œil est censé être dans le noir, mais en plus cette lumière est composée des longueurs d’onde les plus stimulantes pour nos cellules ganglionnaires à mélanopsine. Adieu, sécrétion de mélatonine…



Spectre électromagnétique d'une LED "Blanc froid" (4000 K).

On y voit clairement un pic d’émission dans le bleu.
(Source : https://leclairage.fr/led/)


De surcroît, aujourd’hui, grâce à leurs atouts en termes d’économies d’énergie et de possibilités de gestion, les LED tendent à équiper de plus en plus de sources de lumière, allant des phares de voiture aux lampadaires de rue en passant par les plafonniers de bureaux et les ampoules domestiques. Si un éclairage intérieur de type « blanc froid » n’est pas gênant en journée et peut même avoir un effet bénéfique sur la productivité, ce n’est plus du tout le cas en soirée. C’est en partie pour cette raison que l’arrêté sur les nuisances lumineuses du 27 décembre 2018 impose que la température de couleur de l’éclairage des rues (pour les installations neuves) ne dépasse pas 3000 Kelvin (K). En effet, plus la température de couleur est basse, plus la proportion de lumière bleue émise est faible.


Comparaison d'un éclairage public en 3000 K et 4000 K
(Source : https://www.cityofelgin.org/2402/LED-Street-Light-Project-Survey)



Que faire à mon échelle ?
À moins d’habiter loin de toute civilisation, la pollution lumineuse, qu’elle vienne de l’extérieur ou de l’intérieur de votre habitat, a forcément un impact sur vos nuits. De manière générale, il est recommandé d’avoir un contraste lumineux marqué entre le jour et la nuit : en d’autres termes, il faut s’exposer au maximum à la lumière naturelle pendant la journée afin de contrebalancer l’exposition à une lumière parasite en soirée. Concernant la lumière bleue, l’Anses préconise notamment d’utiliser des ampoules « blanc chaud », dont la température de couleur est inférieure ou égale à 3000 K, pour l’éclairage domestique. La nuit enfin, il vaut mieux dormir dans le noir complet.


Tous les ans, à l’automne, a lieu le « Jour de la Nuit ». La prochaine édition aura lieu le samedi 9 octobre 2021. Durant cette opération, l’éclairage public des communes volontaires est en partie éteint, et des animations sont proposées partout en France afin de sensibiliser le grand public aux conséquences de la pollution lumineuse, sur l’Homme mais aussi sur la biodiversité : cet aspect fera l’objet d’un second article de Cortex dans quelques semaines.


Quoi qu’il en soit, la meilleure des solutions à la pollution lumineuse reste encore… d’éteindre la lumière.



*Pour plus d’informations sur la diffusion de la lumière : voir l’article de Virgile Guei (www.le-cortex.com/article/comment-les-particules-perturbent-la-lumiere)





Sources :
1. Anses, Effets sur la santé humaine et sur l’environnement (faune et flore) des diodes électroluminescentes (LED), avril 2019 (https://www.anses.fr/fr/system/files/AP2014SA0253Ra.pdf)

2. Arrêté du 27 décembre 2018 relatif à la prévention, à la réduction et à la limitation des nuisances lumineuses, version en vigueur au 28 septembre 2021
3. https://www.ecologie.gouv.fr/arrete-du-27-decembre-2018-relatif-prevention-reduction-et-limitation-des-nuisances-lumineuses

4. https://www.inserm.fr/dossier/chronobiologie/

5. https://lecerveau.mcgill.ca/flash/i/i_11/i_11_cl/i_11_cl_hor/i_11_cl_hor.html

6. https://www.unistra.fr/uploads/media/CP_Melanopsine_23-06-09.pdf

7. https://www.anses.fr/fr/content/led-les-recommandations-de-l%E2%80%99anses-pour-limiter-l%E2%80%99exposition-%C3%A0-la-lumi%C3%A8re-bleue


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7 m
7 octobre 2021
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