Un ADN “parasite” un peu égoïste

Un ADN “parasite” un peu égoïste

Nous sommes en 1950, aux Etats-Unis, dans un champ de maïs avec la biologiste Barbara McClintock. Cette immense pionnière découvre un ADN qui bondit de gène en gène au sein de l’ADN. A cette époque-là ses confrères ont du mal à la croire. Et pourtant, elle recevra le prix Nobel de Physiologie et de Médecine en 1983 pour ses recherches.

Photographie de Barbara McClintock (Source : https://www.britannica.com/biography/Barbara-McClintock)

 

Cette partie d’ADN bondissant est appelée un transposon ou plus communément un « gène sauteur ». On le retrouve en grand nombre chez énormément d’êtres vivants, dont nous, mais aussi chez les plantes, les bactéries… (eucaryotes et procaryotes). Pour les humains, cela représenterait environ 45 % de nos gènes contre 90 % pour le maïs. On suppose donc qu’ils auraient participé au changement de taille de notre ADN au cours de notre évolution.

Ces transposons, car il en existe plusieurs types, sont des ADN parasites. Ceux-ci n’ont qu’un seul but : se reproduire le plus possible, mais sans rien offrir en retour. Cependant, récemment, on a découvert qu’ils n’étaient finalement pas si égoïstes que les scientifiques le croyaient.

Ces petits transposons se transmettent à chaque descendance. Quand ils ne sont plus actifs et qu’ils ne sautent plus partout, ils sont complètement intégrés à nos gènes. On parle alors de fossile. Mais le transposon n’est pas bête. Son but étant de se propager et non de devenir un élément qui va finir dans un musée sous la poussière, il cherche à envahir d’autres espèces.

 

Comment saute un transposon ?

Il en existe plusieurs types. Il y a les transposons à ADN et les rétrotransposons qui, eux, sont des ARN (le messager intermédiaire de l’ADN avant la fabrication de la protéine).

Les transposons à ADN sont des morceaux d’ADN double brins (deux brins qui se complètent comme un puzzle et sont enroulés sur eux-mêmes), qui se terminent de chaque côté par un « bout » qui se répète de façon inversée et qui servent de carte d’identité de ceux-ci. Chacun de ces transposons contient un code qui permet de fabriquer une protéine, la transpotase. C’est elle qui va permettre d’effectuer des sauts.

La transpotase va repérer la carte d’identité du transposon et commencer à couper autour afin de le détacher et le transférer sur un autre gène. C’est un « couper-coller ». Cependant ce brusque déménagement n’est pas sans conséquence.

Schéma d’un transposon ADN qui saute sur un autre gène

 

L’ADN où se trouvait le transposon est alors coupé en deux. Il doit être réparé et l’on n’est jamais à l’abri, dans ces cas-là, d’une mutation. C’est la même chose pour l’endroit où il est inséré. Le vide autour de lui lors de son arrivée devra également être réparé par des molécules appelées l’ADN polymérase (pour compléter les trous) et ligase (pour lier). Ces voyages, s’ils sont trop nombreux ou mal effectués, peuvent déclencher plusieurs types de maladies comme des cancers.

 

Les rétrotransposons, quant à eux, sont composés d’un seul brin d’ARN auquel est adjointe une queue. Cet ARN va subir un mécanisme inverse qui le retransforme en ADN. Il subira alors le même sort que son ami le transposon ADN, à un détail près ! Ne possédant qu’un seul brin et non deux comme l’ADN « normal », celui-ci va forcer son hôte à lui fabriquer sa moitié manquante. C’est le « copier-coller ».


Schéma d’un rétrotransposon ADN qui saute sur un autre gène

 

Dans notre corps nous possédons une majorité de rétrotransposons en activité. Nous détenons bien des transposons ADN, mais ceux-ci ne semblent plus sauter. Les rétrotransposons ont un lien de parenté avec les rétrovirus qui utilisent les mêmes mécanismes qu’eux pour intégrer nos cellules et notre ADN.

 

Pourquoi en possède-t-on autant s’ils sont si dangereux ?

En génétique on suppose qu’ils sont nuisibles car ils peuvent causer d’importants problèmes aux gènes en créant des pertes d’ADN, voire des suppressions. Si les dommages sont trop importants sur l’ADN, la cellule se suicidera. Mais les transposons ont aussi leur utilité.

Chez les végétaux, ces déplacements de gènes sont très courants. Ils permettent lors de leur développement de contrôler par exemple la couleur des feuilles et même des fruits.

Chez eux, comme chez nous, l’action des transposons dépend de l’endroit où ils atterrissent. Ils peuvent permettre à nos gènes d’évoluer. En effet, le transposon n’a pas d’intérêt à trop se multiplier et détruire son hôte, alors des moyens de contrôle ont été mis en place par eux et nous.

Pour éviter la mort des cellules qui les abritent, les transposons peuvent se déplacer dans des zones peu sensibles. Ils sont également plus actifs lorsque l’hôte n’est encore qu’un embryon. A ce stade, les graves erreurs sont plus simples à corriger.

Notre corps a lui aussi recours à des systèmes de protection en réduisant l’activité du transposon (méthylation), en empêchant la transpotase de fonctionner, ou encore en domestiquant les transposons. Cette stratégie consiste à se servir d’eux pour produire différentes protéines. 47 gènes humains connus sont issus de ce processus.

 

Et la médecine dans tout ça ?

Les transposons sont utilisés dans plusieurs nouvelles technologies. Ils tendent notamment à remplacer les virus pour transporter et introduire des molécules dans nos cellules. En effet, contrairement aux virus, ils ne provoqueraient pas de réaction du système immunitaire (voir l’article d’Anne Clericco « Les soldats de l’immunité »).

Ils sont également utilisés comme des étiquettes génétiques et pourront ainsi permettre d’étudier diverses maladies telles que les cancers. Enfin, récemment, des recherches combinant CRISPR-CAS9 (les ciseaux à ADN) et les transposons ont été réalisées. Ce n’est donc que le début d’une collaboration avec les gènes sauteurs qui finalement ne sont pas si égoïstes que cela.

 

Sources :

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25.Transposon - un aperçu | Sujets ScienceDirect. https://www.sciencedirect.com/topics/immunology-and-microbiology/transposon.

26.Transposons | Apprenez la science à Scitable. https://www.nature.com/scitable/topicpage/transposons-the-jumping-genes-518/.




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23 décembre 2020
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