Axe poumons – nerf vague – cerveau, un espoir de modulation de l’humeur et de l’anxiété
Vous n’y avez pas échappé, la toile pullule d’exercices de respiration en tout genre, pour toutes sortes d’indications, en particulier pour lutter contre le stress et l’anxiété. Et les scientifiques se sont également emparés du sujet… Alors inspirez, expirez, et le tour est joué !
Plusieurs études mettent en évidence les effets bénéfiques de certaines techniques ou méthodes que l’on peut couramment trouver de nos jours. Toutefois, les mécanismes biologiques sous-jacents de ces effets restent encore méconnus. Cependant, une étude publiée en novembre 2023 dans la revue Nature Communication par l’équipe du Dr. Andy Peng Xiang, de l’université chinoise Sun-Yat-Sen, pourrait permettre d’apporter de premiers éléments de réponse. En effet, leurs travaux mettent en évidence l’existence d’un axe poumons – nerf vague – cerveau, capable de réguler l’anxiété et la résignation dans un modèle de stress chronique chez la souris.
Au départ, cette équipe de recherche s’intéresse aux cellules stromales mésenchymateuses (CSM). Ce sont des cellules souches capables d’être redifférenciées en laboratoire en un autre type de cellules. Leur intérêt pour ces cellules réside notamment dans le fait que plusieurs études ont mis en évidence leurs potentiels effets antidépresseurs. Des hypothèses ont été élaborées quant aux mécanismes biologiques sous-tendant ces effets, bien que élusives. Dans cette étude, l’équipe du Dr. Xiang s’intéresse à la manière dont les CSM pourraient produire leurs potentiels effets thérapeutiques.
Sérotonine, humeur et anxiété
Pour cela, son équipe utilise un modèle de stress chronique, couramment utilisé pour induire un comportement anxieux et de résignation chez la souris, afin de modéliser certains symptômes des troubles anxiodépressifs observés chez l’humain. En utilisant ce modèle, ils ont notamment observé une diminution de la résignation et de l’anxiété des souris en réponse à l’injection de CSM, confirmant ainsi les résultats d’études rapportant leur effet antidépresseur et anxiolytique.
Étant donné l’implication de la sérotonine dans le mécanisme d’action des antidépresseurs et dans la physiopathologie de la dépression chez l’humain, ils questionnent dès lors le rôle que pourrait avoir la sérotonine dans les effets thérapeutiques des CSM. La sérotonine est un neurotransmetteur produit par des neurones spécialisés dans une zone du cerveau appelée le raphé dorsal. Ces neurones libèrent la sérotonine dans de multiples zones cérébrales où elle participe à la modulation d’une pléiade de comportements dont la régulation du comportement émotionnel (voir figure 1).
Figure 1. Illustration schématique du système sérotoninergique central du cerveau humain.
En testant cette hypothèse, ils observent que l’injection intraveineuse de CSM permet d’activer les neurones produisant la sérotonine dans le cerveau et d’en augmenter les taux. A l’inverse, ils observent que ces mêmes neurones ont une activité diminuée chez les souris soumises à un stress chronique et que l’injection de CSM permet de rétablir leur activité de manière comparable à des souris non stressées. En outre, l’injection de CSM permet aussi de rétablir les niveaux de sérotonine dans le cerveau préalablement diminués par le stress chronique.
Afin de prouver le lien de causalité entre les effets antidépresseurs observés en réponse à l’injection de CSM et l’augmentation de l’activité des neurones sérotoninergiques, les chercheurs utilisent une approche par perte de fonction. Pour cela, ils lésionnent les neurones sérotoninergiques afin de les rendre non fonctionnels. Confirmant leur hypothèse, ils observent que lorsque les neurones sérotoninergiques ne sont plus fonctionnels, l’injection de CSM ne produit plus les effets antidépresseurs et anxiolytiques précédemment rapportés. Ils en concluent de ce fait que l’activation des neurones sérotoninergiques est nécessaire aux CSM pour diminuer la résignation et l’anxiété chez les souris stressées chroniquement. Toutefois une question demeure : par quels mécanismes les CSM activent-t-ils les neurones sérotoninergiques du cerveau afin de produire leurs effets thérapeutiques ?
Les pouvoirs de l’axe poumons – nerf vague - cerveau
Dans un premier temps, les chercheurs observent que, suite à leur injection, les CSM se logent majoritairement dans le siège de notre appareil respiratoire. Les poumons sont innervés par différents nerfs, dont le nerf vague au travers de terminaisons dites sensorielles. Le nerf vague, est le nerf crânien le plus étendu du corps humain, partant du tronc cérébral (base du cerveau, avant la moelle épinière) et innervant différents organes périphériques comme les poumons, le système digestif, ou encore le système cardiovasculaire.
Nichées dans les poumons, les CSM sécrètent alors un métabolite qui est ensuite absorbé par les nerfs sensoriels des poumons. L’absorption de cette substance, encore inconnue à ce stade de l’étude, par le nerf sensoriel induit l’activation des cellules composant le nerf vague. Enfin, une méthode dite « de traçage » met au jour un circuit neuronal permettant aux terminaisons sensorielles pulmonaires du nerf vague de communiquer avec les neurones sérotoninergiques du cerveau. Cerise sur le gâteau : ils mettent également en évidence que les effets thérapeutiques des CSM sont médiés par le nerf vague. En effet, la vagotomie (lésion du nerf vague le rendant non fonctionnel) ne permet plus au CSM inhalées d’activer les neurones sérotoninergiques du cerveau, ayant pour conséquence la perte de l’effet antidépresseur et anxiolytique chez les souris stressées.
La protéine BDNF, le maillon manquant
L’ultime étape de leurs travaux est d’identifier le métabolite sécrété par les CSM qui permet d’activer les neurones sérotonines au travers du nerf vague et de diminuer la résignation et l’anxiété. Par différentes techniques de séquençage et de biologie moléculaire, ils identifient la protéine BDNF (Brain-Derived Neurotrophic Factor) comme potentiel candidat. BDNF est un facteur de croissance neurotrophique, également naturellement produite par notre corps, qui se fixe sur le récepteur TrkB (Tropomyosin receptor Kinase B). Par cette action, il promeut la croissance des neurones et régule des mécanismes clés comme la neuroplasticité. Elle est, entre autres, un processus physiologique altéré dans la dépression et rétabli (parfois uniquement partiellement) par les traitements antidépresseurs.
Plutôt que d’utiliser directement la protéine BDNF, ils utilisent le 7,8-DHF (7,8-Dihydroxyflavone hydrate, ou tropoflavine), une molécule permettant, tout comme BDNF, d’activer le récepteur TrkB. Le résultat est très encourageant : l’inhalation de cette molécule permet d’activer les neurones sérotoninergiques et de reproduire un effet antidépresseur et anxiolytique chez les souris stressées.
Ainsi, les travaux du groupe du Dr. Xiang ont mis en évidence que le facteur de croissance neurotrophique BDNF, libéré par les CSM dans les poumons, se fixe sur le récepteur TrkB et active les cellules du nerf vague. Cela a pour conséquence directe l’activation des neurones sérotoninergiques du cerveau au travers de l’axe poumons – nerf vague – cerveau, qui soutiennent in fine l’effet antidépresseur et anxiolytique chez les souris stressées (voir figure 2).
Figure 2. Illustration schématique de l’effet antidépresseur et anxiolytique des CSM médiés par
l’axe poumon – nerf vague – cerveau.
1. Les cellules stromales mésenchymateuses (CSM) se logent dans les poumons et libèrent le facteur neurotrophique BDNF. 2. BDNF se fixe sur son récepteur TrkB. 3. La fixation de BDNF sur TrKB induit une activation du nerf vague. Le nerf vague transmet ensuite ce message aux neurones du ganglion inférieur (4) qui vont eux-mêmes activer les neurones sérotoninergiques du raphé dorsal (5). 6. L’activation des neurones sérotoninergiques provoquent une augmentation de la libération de sérotonine (5-HT) dans le cerveau qui conduit à une diminution de l’anxiété et de la résignation (7).
Cette étude originale ouvre la voie à de nouveaux types de traitement des troubles anxieux et dépressifs. En outre, elle précise les contours d’un potentiel mécanisme sous-jacent sur les effets bénéfiques des exercices de respiration sur l’humeur et le stress. En effet, il n’y a qu’un pas, ou plutôt que quelques expériences, pour démontrer que les exercices de respiration favorisent la sécrétion de BDNF (ce qui est déjà vrai pour l’activité physique) !
Sources :
2. Ding Dah-Ching et al. Mesenchymal stem cells. Cell Transplant. 2011.
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