L’impact de la lumière artificielle sur notre équilibre biologique et notre cerveau

L’impact de la lumière artificielle sur notre équilibre biologique et notre cerveau

L'introduction de la lumière artificielle dans notre quotidien a été une étape clé dans notre histoire. Elle a permis une plus grande flexibilité dans notre mode de vie et un contrôle dans notre environnement.


 


Une invasion lumineuse


Avec l’avancée des technologies actuelles, nous sommes constamment entourés, et cela de plus en plus tôt, d’outils nous renvoyant de la lumière artificielle. Actuellement, 80 % des humains subissent de la pollution lumineuse (voir l’article de Romain Proton Pollution lumineuse, tous perturbés). On retrouve également des études statistiques nous indiquant que 36 % des parents et 34 % des enfants laissent des appareils électroniques allumés dans la chambre pendant la phase de sommeil. Nous ne comptons pas non plus ceux qui regardent la télévision avant de dormir, lisent un livre sur leur liseuse ou encore se baladent sur Tik Tok avant d’éteindre la lumière… Face à cette surabondance, y a-t-il un enjeu sanitaire ? Et quels sont les effets sur notre physiologie et notre cerveau ?

 


La diversité lumineuse


La lumière est magnifique et complexe. Le rayonnement électromagnétique est une énergie qui se déplace dans l’espace sous forme d’ondes de « particules » sans masse, appelées photons. Les rayons X utilisés en radiologie, la chaleur du feu, mais aussi la lumière du soleil sont des formes de rayonnement électromagnétique. Selon la source de rayonnement, l’énergie électromagnétique varie. L’œil ne peut voir qu’une infime partie de ces rayonnements que l’on appelle domaine du visible. Cela se situe entre 400 et 800 nm (nanomètre), ce qui correspond à la longueur d’onde de ce rayonnement. (Voir la vidéo La super vision des femmes Speed Cortex #22).


Schéma du spectre du visible (source : https://www.schoolmouv.fr/cours/spectres-d-emission-et-spectres-d-absorption/fiche-de-cours)


Chaque « couleur » possède une longueur d’onde qui lui est propre. La couleur bleue se situe aux environs de 460 nm, c’est une longueur d’onde courte. Contrairement au rouge, qui se situe autour des 660 nm, qui est une grande longueur d’onde. (voir : Pourquoi le ciel est bleu ? Speed Cortex #14)


 


Schéma des longueurs d’onde bleue et rouge (source : https://lab.cercle-promodul.inef4.org/knowledge/post/lumiere-naturelle-les-grandeurs-physiques-partie-1)


Notre œil, splendide capteur et caméra, possède plusieurs types de cellules pour nous permettre de percevoir toutes les variations et nuances lumineuses de notre environnement (voir l’article de Virgile Guei L’œil humain, une caméra hors pair). Au fond de celui-ci se trouve la rétine, une fine couche de tissus nerveux contenant des photorécepteurs. Les cônes se trouvent en densité plus élevée au centre (zone appelée fovéa). Il existe trois types de cônes : les sensibles aux grandes longueurs d’onde (L), aux moyennes (M) et aux courtes (S). Ces capteurs permettent de voir les couleurs, les détails spatiaux, les mouvements et les niveaux de lumière typiques au sein d’une journée. On possède également des bâtonnets qui, eux, permettent de capter les signaux spécifiques à certains types de lumières comme ceux du crépuscule et encore plus sombres. Enfin, les neurones secondaires sont des cellules ganglionnaires rétiniennes. Elles intègrent l’information captée et l’envoient au cerveau via le nerf optique. Elles expriment des photopigments appelés mélanopsine. Ceux-ci sont sensibles aux courtes longueurs d’onde et donc aux lumières bleues.

Les chercheurs pensent à une très forte influence de ces cellules sur notre horloge interne régulant notre sommeil, l’horloge circadienne.

 


Le marchand de sable interne


Chez nous, mammifères, notre horloge maîtresse centrale est ce que l’on appelle le noyau suprachiasmatique, une structure appariée à notre hypothalamus. On y retrouve des balances moléculaires qui travaillent à l’équilibre dans notre corps.


Voies d’entrée et de sortie vers le noyau suprachiasmatique (Source :doi : 10.1007/s11818-019-00215-x)

 

L’horloge circadienne a de multiples fonctions. Elle régule, en plus de notre veille-éveil, notre sécrétion hormonale, des fonctions cellulaires et l’expression de certains gènes.

Lors d’un cycle normal, le système circadien régule notamment les glucocorticoïdes par la glande surrénale en augmentant la concentration le matin, puis en la diminuant tout au long de la journée. Les glucocorticoïdes sont importants dans la réponse au stress et maintiennent leur équilibre.

La lumière naturelle est essentielle pour l'entraînement de notre horloge. Cela conduit à une coordination temporelle de la physiologie et du comportement. Mais une forte exposition à de la lumière artificielle peut provoquer de nombreux dysfonctionnements.


Schéma du rythme circadien au cour d’une journée (Source :doi: 10.1016/j.heliyon.2022.e10282)

 

Par conséquent, la variation de l’éclairage ambiant a un impact sur le comportement de repos pendant le sommeil, mais aussi en activité d’éveil et lors de tous les processus biologiques qui en découlent.

La journée en extérieur, on peut avoir un éclairement jusqu’à 100 000 lux en plein soleil. L’éclairement étant soit en lux ou en température de couleur, qui est la température d’un radiateur imaginaire à corps noir avec la même couleur comme source de lumière. Alors qu’une pièce fermée ou un éclairage de bureau est à 500 lux au mieux. Il y a une différence non négligeable !

 


La tech au service de nos rêves bleus


Si on revient à nos tablettes et nos téléphones portables, ou même notre éclairage de bureau, votre premier réflexe serait de dire que vous ne voyez pas votre écran bleu. Si celui-ci est « moderne », il doit même avoir une teinte jaune. Les lumières LED sont partout, car elles consomment moins d’énergie et durent plus longtemps. Ces lumières issues des LED paraissent blanches, et pourtant elles ont une fraction élevée de leur longueur d’onde à 460 nm. Eh oui, la couleur bleue ! Nous la voyons jaune grâce a un ajout de luminophore grenat jaune à large spectre. Ce n’est finalement qu’une illusion. Nos lumières artificielles contiennent donc en réalité de multiples spectres, alors que nous avons la même impression visuelle. Il peut, par conséquent, en découler des effets chronobiologiques sur l’horloge circadienne.

 


Que risque-t-on ?


Les effets de la lumière sur l’horloge circadienne dépendent du moment de l’exposition, mais aussi de leur intensité. Par exemple, un gros flash photo en plein visage (exposition courte) va décaler votre horloge (recul de votre heure de sommeil), alors que cela ne sera pas le cas si vous ramassez des pommes tout l’après-midi dans votre jardin.

Mais ce n’est pas tout ! Nous sommes également plus sensibles à ce décalage le soir, moment de forte exposition à la lumière artificielle. Une étude a démontré que lire un livre avec une liseuse pendant 4 heures avant le sommeil augmente la latence d’endormissement, diminue la somnolence, diminue la sécrétion de mélatonine, la vigilance le lendemain et retarde l’horloge.

Grâce à un électroencéphalogramme, il a aussi été observé qu’une exposition à la lumière avec de courtes longueurs d’onde pendant 2 heures, 3 heures avant le coucher, rendait le sommeil moins profond. Ceci est une information clé, car cela signifierait que les effets des longueurs d’onde perdurent après l’exposition.

C’est donc sans surprise que l’utilisation du téléphone avant le coucher est associée à des problèmes de sommeil, comme la diminution de son efficacité, une latence d’endormissement plus longue, une mauvaise qualité de sommeil. Certes il existe le « mode nuit » qui est appauvri en longueurs d’onde courte, mais ces effets n’ont pas été démontrés.

Enfin, la lumière bleue peut faire fluctuer l’humeur de plusieurs manières, notamment en modulant la disponibilité de certains neurotransmetteurs comme la sérotonine, stabilisateur du rythme circadien.

 


Que font les chercheurs ?


Les études manquent et il reste difficile de trouver des modèles pour ce type d’expérimentation. Par exemple, les chercheurs utilisant des souris (animaux nocturnes, alors que nous sommes diurnes) ont démontré que la surexposition aux LED bleues chez le rongeur est associée à la mort des cellules de la cornée. L’adaptation des données reste compliquée, mais permet néanmoins de se poser des questions et d'orienter des hypothèses.

La composante lumière bleue de la lumière du soleil est nécessaire à plusieurs processus physiologiques. Outre les problèmes pointés dans cet article sur la lumière artificielle, celle-ci peut être également utilisée à bon escient. La luminothérapie en est une illustration. Elle est utilisée en partie pour traiter des troubles comme la dépression, les insomnies… La lumière artificielle, correctement employée, peut aussi permettre à des plantes de mieux pousser, ou de mieux se conserver (voir l’article de Romain Proton Quand la lumière sublime nos étals).

Les scientifiques ont donc besoin de davantage de données et de recul afin de trancher sur le risque sanitaire que pourrait représenter la lumière artificielle pour l’homme. Une chose est certaine, son exposition de nuit doit être réduite et contrôlée notamment pour les professions nocturnes qui y sont exposées en continu.

 




Sources:

1. Wong, N. A. & Bahmani, H. A review of the current state of research on artificial blue light safety as it applies to digital devices. Heliyon 8, e10282 (2022).

2. Nash, T. R. et al. Daily blue-light exposure shortens lifespan and causes brain neurodegeneration in Drosophila. NPJ Aging Mech Dis 5, 8 (2019).

3. Golmohammadi, R., Yousefi, H., Safarpour Khotbesara, N., Nasrolahi, A. & Kurd, N. Effects of Light on Attention and Reaction Time: A Systematic Review. J Res Health Sci 21, e00529 (2021).

4. Blume, C., Garbazza, C. & Spitschan, M. Effects of light on human circadian rhythms, sleep and mood. Somnologie (Berl) 23, 147–156 (2019).

5. Lee, H.-H., Tu, Y.-C. & Yeh, S.-L. In search of blue-light effects on cognitive control. Sci Rep 11, 15505 (2021).

6. Bedrosian, T. A. & Nelson, R. J. Timing of light exposure affects mood and brain circuits. Transl Psychiatry 7, e1017 (2017).

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15 mars 2023
Auteurs

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