Le balai des mains qui n’en font qu’à leur tête

Le balai des mains qui n’en font qu’à leur tête

Le cerveau est comme une ville animée, où des milliards de petites routes transmettent des messages d'un quartier à l'autre. Mais, parfois, celles-ci ne sont pas construites comme prévu, et cela peut causer des problèmes de circulation.



Comment fonctionne notre gestuelle et qu’est-ce qui fait que nous pouvons différencier nos mouvements de la main droite et ceux de la main gauche ? Pour les coordonner et ainsi jouer merveilleusement de la guitare ou de la batterie, nous devons faire appel à une zone particulière de notre système nerveux appelée "cortex moteur", située dans le lobe frontal. Notre cerveau est par conséquent comme le quartier général des mouvements volontaires, contrairement aux mouvements réflexes régis par la moelle épinière.


Ce qui est fascinant, c'est que chaque côté du cerveau contrôle les mouvements de l'autre côté du corps : le côté droit de votre cerveau contrôle les mouvements du côté gauche, et vice versa. On parle de « cross-over ».

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Schéma des différents lobes cérébraux, ainsi que de la zone du cortex moteur.




Dans les années 1950, les recherches du neurochirurgien Wilder Penfield ont permis de cartographier le cortex moteur en associant différentes parties du corps à des zones spécifiques du cerveau. En appliquant des décharges électriques sur différentes parties du cortex moteur lors d'opérations chirurgicales, il a observé les mouvements corporels correspondants, établissant ainsi une carte des zones du cerveau liées au mouvement. Cette carte montre que la taille des zones du cortex moteur ne correspond pas à la taille des organes correspondants dans le corps. Par exemple, la zone associée au contrôle de la langue est plus grande que celle associée à la jambe. Cette disproportion s'explique par le degré de complexité des mouvements que chaque partie du corps peut effectuer. Ainsi, bien que la main soit plus petite que le tronc, elle a une zone de contrôle plus étendue dans le cerveau en raison de ses capacités motrices plus riches.


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Schéma de la carte somatosensorielle. (Source : © SciencesHumaines,nov-dec2011)



Le cortex moteur n'est pas la seule partie du cerveau impliquée dans le mouvement. Il y a également les "ganglions de la base" et le "cervelet". Ils agissent un peu comme des assistants, et aident à coordonner et à ajuster les mouvements pour qu'ils soient fluides et précis.



Lorsque vous voulez lever la main ou taper dans un ballon, votre cerveau passe par trois étapes. Tout d'abord, il décide quels mouvements faire. Ensuite, il organise la série de contractions musculaires nécessaires. Enfin, il exécute réellement le mouvement. Chacune de ces étapes est prise en charge par une zone différente du cerveau.

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Schéma des différentes étapes afin d’aboutir à un mouvement au niveau du cortex.


Mais dans certains cas, tout ne se passe pas comme prévu et un autre type de danse du système moteur entre en scène.




Un joyeux bazar qui peut s’avérer handicapant

Imaginez une danse étrange orchestrée par le cerveau, où un mouvement involontaire d'un côté du corps reflète étrangement le mouvement intentionnel de l'autre côté. C'est un peu comme si votre main gauche décidait de suivre les pas de votre main droite, sans vous demander votre avis. Ce phénomène, appelé mouvements miroir congénital, peut affecter principalement les bras et les mains, causant parfois des douleurs lors d'activités manuelles prolongées et rendant difficile la coordination des deux mains pour des tâches délicates.


À l'intérieur du mystérieux théâtre de notre système nerveux, les mouvements miroirs prennent vie à cause de dysfonctionnements dans le contrôle des mouvements latéralisés, un peu comme si les câbles qui connectent les deux côtés de notre cerveau et de notre moelle épinière étaient emmêlés. Des chercheurs ont découvert que dans cette chorégraphie nerveuse, un acteur clé est le gène DCC (Supprimé dans le carcinome colorectal), qui dirige normalement le trafic des axones, ces fibres nerveuses que l’on peut assimiler à des long bras appartenant aux neurones, vers leur destination précise pendant le développement. Les mutations dans ce gène peuvent transformer la danse neuronale en un ballet chaotique, provoquant ainsi les mouvements miroirs. Il n’est cependant pas seul, au cours des années et des études, d’autres gènes se sont vus être des acteurs de cette pathologie. Parmi eux, on retrouve le NTN1, le RAD51, découverts par l’Inserm en 2012 grâce à l’étude génétique de deux grosses familles, une Française et une Allemande et le gène DNAL4.


Maintenant, imaginez que, dans cette pièce complexe, un nouveau personnage entre en scène : ARHGEF7. Ce gène, récemment découvert, semble jouer un rôle crucial dans la même voie de signalisation que DCC, celle guidant les axones vers leur destination. On pense que ARHGEF7 agit comme un chef d'orchestre en activant des acteurs moléculaires appelés Rho GTPases qui contrôlent la forme et le mouvement des cellules nerveuses en développement. Lorsque ARHGEF7 ne fonctionne pas correctement, la danse des axones devient désordonnée, ce qui peut conduire aux mouvements miroirs.


Pour prouver le rôle de ARHGEF7 dans ce scénario, les chercheurs ont utilisé des modèles de laboratoire, à la fois des cultures de cellules nerveuses et des souris génétiquement modifiées. Leurs expériences ont montré que lorsque ARHGEF7 est altéré, les axones ne suivent pas le bon chemin, reproduisant ainsi les symptômes observés chez les personnes atteintes de mouvements miroirs. En d'autres termes, ARHGEF7 est comme un maître de danse dans la tête, dont l'absence ou le dysfonctionnement perturbe la synchronisation des mouvements neuronaux, conduisant à une chorégraphie erratique et aux mouvements miroirs.


Cette découverte faite en 2023 apporte un éclairage inédit sur les mécanismes sous-jacents à cette pathologie neurologique héréditaire, ouvrant la voie à de nouvelles perspectives de traitement et à une meilleure compréhension de ces troubles encore mystérieux aujourd'hui. Elle permet également d'améliorer notre connaissance des processus cérébraux impliqués dans le contrôle de la motricité bimanuelle, c'est-à-dire la coordination des mouvements des deux mains. Ces avancées dans le diagnostic pourraient également contribuer à mieux comprendre d'autres troubles de la motricité, telles que la dystonie, trouble neurologique caractérisé par des contractions musculaires involontaires et prolongées qui entraînent des mouvements anormaux et des postures anormales, ainsi que d'autres maladies neurodéveloppementales. 





Sources : 

1. Méneret, A., Trouillard, O., Dunoyer, M., Depienne, C. & Roze, E. Congenital Mirror Movements. in GeneReviews® (eds. Adam, M. P. et al.) (University of Washington, Seattle, Seattle (WA), 1993).

2. Cracking the Mystery of Mirror Movements. https://www.science.org/content/article/cracking-mystery-mirror-movements.

3. Queensland, T. U. of, Lucia, A. B. S., Gatton, Q. 4072 +61 7 3365 1111 O. C. U., Maps, U. H. & Queensland, D. © 2024 T. U. of. Discovery reveals brain abnormality and mirror movement link. UQ News https://www.uq.edu.au/news/article/2017/03/discovery-reveals-brain-abnormality-and-mirror-movement-link.

4. Schlienger, S. et al. Genetics of mirror movements identifies a multifunctional complex required for Netrin-1 guidance and lateralization of motor control. Sci Adv 9, eadd5501 (2023).

5. Mirror Movement Disorders. (2012).

6. Knight, J. L. et al. Mirror movements and callosal dysgenesis in a family with a DCC mutation: Neuropsychological and neuroimaging outcomes. Cortex 161, 38–50 (2023).

7. Liu, P. et al. Mirror Movements in Acquired Neurological Disorders: A Mini-Review. Front. Neurol. 12, (2021).

8. Rivière, P. When your left hand mimics what your right hand does: it’s in the genes. Inserm Newsroom https://presse.inserm.fr/en/when-your-left-hand-mimics-what-your-right-hand-does-its-in-the-genes/46868/ (2012).



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6 m
1 mai 2024
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