Les bactéries qui s’unissent : l’impact des biofilms

Les bactéries qui s’unissent : l’impact des biofilms

Sur la coque d’un bateau, sur l’émail de nos dents ou dans les canalisations de notre maison, les biofilms bactériens sont omniprésents. Mais quels impacts ont ces colonies que nous connaissons mal ?



Les biofilms sont des amas de cellules bactériennes de différentes espèces évoluant dans une matrice polymérique attachée à une surface. Ils se développent dans de nombreux endroits et peuvent avoir de graves conséquences sur les infrastructures ou encore la santé. Les bactéries créent un environnement hétérogène autour d’elles afin d’améliorer leur survie. La matrice qu’elles sécrètent et qui les entoure leur permet de survivre dans un environnement hostile. Elle les protège des UV, des variations de pH et de l’osmolarité, de la prédation de champignons ou d’insectes, mais également des réponses immunitaires des hôtes qu’elles infectent. Grâce à cela, elles ont également une meilleure résistance aux antibiotiques et aux désinfectants que les cellules solitaires. Les biofilms colonisent de nombreuses surfaces, des biotiques, tels que les organes d’animaux, les plantes, ou des surfaces abiotiques, tels que les sols, les sédiments, les minéraux ou les métaux. Les bactéries favorisent ce mode de vie où elles sont moins vulnérables à l’environnement.



Formation d’un biofilm


Une espèce bactérienne principale adhère à une surface. Elle sécrète une matrice polymérique composée d’exopolysaccharides, de protéines et d’acides nucléiques. Cela permet à la microcolonie de grandir et aux bactéries de se multiplier. Ensuite, une seconde espèce bactérienne vient s’implanter dans cette matrice et va contribuer à son développement et au maintien de la colonie. Une fois la colonie mature, les bactéries vont se disperser et s’implanter sur d’autres surfaces où le cycle va recommencer. Au cœur de cette matrice, l’oxygène a plus de difficulté à se frayer un chemin et les bactéries peuvent y être en hypoxie (privé d’oxygène), elles entrent donc en dormance.



Schéma de la formation d’un biofilm. 4 phases, adhérence : bactéries planctoniques qui adhèrent à une surface, formation d’une microcolonie et sécrétion de la matrice ; croissance : colonie qui se développe et seconde espèce bactérienne qui s’implante ; maturation : la densité bactérienne augmente ; dispersion : les cellules bactériennes se détachent de la colonie et vont adhérer à de nouvelles surfaces. Le cycle continue.



Le détachement des cellules peut être initié par une perturbation mécanique, une dégradation enzymatique de la matrice, une dégradation du substrat sur lequel la matrice est fixée, une induction de la motilité des cellules, une production d’agent tensioactifs ou encore un relâchement de la matrice.



Une communication optimisée


Au sein de cette colonie installée les échanges vont bon train et sont facilités. Les cellules sont très proches spatialement les unes des autres. Cela favorise les transferts génétiques horizontaux. Il s’agit de transfert de morceaux d’ADN, le plus souvent des plasmides, codant pour un gène d’intérêt à la survie ou à la croissance, tel un gène de résistance à un antimicrobien, d’une bactérie à une autre.



Schéma d’un transfert horizontal entre deux bactéries. A : une seule des deux bactéries possède le plasmide. B : un lien de transfert est établi entre les 2 bactéries, celle de gauche a dupliqué le plasmide d’intérêt. C : après le transfert, les deux bactéries possèdent le plasmide d’intérêt.



Au sein de la matrice, un grand nombre d’espèces bactériennes utilisent un mode de communication qu’on nomme Quorum sensing. Elles produisent de petites molécules qui diffusent à travers la matrice pour communiquer entre elles. La densité de ces molécules au sein de la matrice sert d’indicateurs moléculaires de la densité bactérienne. Passé certains seuils, cela va induire des phénotypes chez les bactéries, tels que la virulence, la production de polysaccharides, le détachement cellulaire.



Résistance aux agents antimicrobiens


Les bactéries dans un biofilm sont de 10 à 1 000 fois plus résistantes que celles planctoniques. La matrice joue le rôle une barrière protectrice face aux agents antimicrobiens, les charges électrostatiques présentes en surface les piègent. Par ailleurs, pour les cellules au cœur de la matrice, en hypoxie, elles sont en état de dormance, ce qui favorise les transferts de gènes de résistance.



L’impact des biofilms


Dans le domaine de la santé, ils sont responsables d'infections chroniques. Les biofilms sont protégés des systèmes immunitaires des hôtes, car ces derniers doivent d’abord se débarrasser de la matrice avant de pouvoir atteindre les bactéries. Les biofilms se développent également sur divers instruments médicaux (de la sonde urinaire à la prothèse orthopédique en passant par les cathéters veineux). Ils peuvent aussi se former dans une ventilation ou une canalisation et être diffusés facilement. Cela nécessite un traitement et une décontamination régulière afin d’éviter les propagations de maladie. Chez les personnes immunodéprimées, il s’agit d’un véritable fléau. Les bactéries impliquées peuvent être commensales (bactéries vivant sur la peau, avec lesquelles nous cohabitons) et créer des infections nosocomiales (lors d’un séjour à l’hôpital).


Dans le secteur de l’industrie, les biofilms sont susceptibles d’endommager les infrastructures et ainsi les fragiliser. Sur les plateformes pétrolières, la présence de biofilms a été détectée dans des injecteurs d’eau, ce qui induit une acidification du pétrole qui devient alors inutilisable. On en retrouve sur les coques de bateau. Ce qui a pour conséquence d’augmenter les frictions, diminuer la vitesse et augmenter les coûts énergétiques. La formation de biofilms sur les métaux peut également engendrer de la corrosion.


En ce qui concerne l’industrie agroalimentaire, le développement de biofilms peut avoir de graves conséquences sanitaires. Leur présence augmente le risque de contamination alimentaire pour les consommateurs.



Une utilité écologique


Avant de poursuivre sur les avancées scientifiques et les méthodes de lutte contre les biofilms, il est tout de même bon de faire un aparté sur leur intérêt écologique. La plupart des biofilms sont inoffensifs et jouent un rôle écologique capital. En effet, ils contribuent au cycle du carbone ainsi qu’à celui de l’eau. Ils participent à la production et à la dégradation de matières organiques, au recyclage de l’azote, du soufre et de nombreux métaux. Ils utilisent des matériaux polluants comme source de carbone et d’énergie et sont donc employés pour traiter les eaux usées, ainsi que les décharges ou pour dépolluer des sites contaminés.



La lutte contre les biofilms dangereux


Pour lutter contre les biofilms dans le domaine médical, il n’existe pas de solution miracle. L’idéal reste de cibler simultanément les bactéries ainsi que la structure de la matrice afin de déstabiliser le tout et de pouvoir tuer les bactéries. Pour y parvenir, il existe des mesures préventives telles qu’une hygiène irréprochable, notamment lors de greffe afin de limiter les contaminations. Le matériel est imprégné d’antibactériens afin de libérer une grande quantité d’antibactérien dans le site à risque de colonisation, les agents actifs de l’antibactérien vont alors agir comme répulsif. Des verrous antibiotiques et d’agents chélateurs sont également mis en place. Il s’agit de libérer, pendant les 12 à 24 h de risque de contamination, des antibactériens et des molécules permettant de piéger des agents nécessaires à la croissance des bactéries.


Lorsque le biofilm s’est déjà développé et qu’il faut réaliser un traitement curatif, dans le cas d’un implant ou d’une greffe, une ablation du dispositif infecté est effectuée afin de limiter une éventuelle propagation. En parallèle, les médecins combinent des antibactériens différents, afin d’augmenter leur efficacité, ils optimisent l’antibiothérapie.


Cependant, depuis les années 1990, on sait que les bactéries obtiennent très rapidement de nouvelles antibiorésistances. Une méthode non basée sur les mêmes mécanismes des antimicrobiens et ne déclenchant donc pas une adaptation des bactéries est en train de se développer. Le Quorum quenching est l’inhibition du Quorum sensing. Il est induit par l’homme via des inhibiteurs pour empêcher la sécrétion des molécules ou les bloquer et les agglomérer grâce à des anticorps. Cette méthode a un fort potentiel thérapeutique : elle permet de lutter contre l'antibiorésistance des bactéries et d’augmenter la sensibilité aux antimicrobiens en réduisant la résistance chez les bactéries.



Que dit la recherche fondamentale ?


La recherche étudie de quelle façon il serait possible d’inhiber l’adhérence initiale des bactéries et de les empêcher d’adhérer sur les substrats et ainsi de se développer. De nouvelles pistes sont également à l’étude pour brouiller les communications et limiter la maturation du biofilm, notamment grâce à l’inhibition du Quorum sensing. Cette approche est cependant limitée car elle ne cible qu’un niveau restreint d’espèces bactériennes. Enfin, des tests sur l’utilisation d’enzymes pour disperser le biofilm en dégradant la matrice est à l’étude. Ces recherches sont prometteuses et plusieurs d’entre elles sont déjà mises en place afin de diminuer les dégâts que les biofilms causent. Cependant, le combat reste long, notamment en raison de la permanente adaptation des bactéries.



Sources :

1-   Yannick D.N. Tremblay, Skander Hathroubi et Mario Jacques. Les biofilms bactériens : leur importance en santé animale et en santé publique. Can J Vet Res. 2014.

2-   Sonia Mion, Benjamin Rémy, Laure Plener, Eric Chabrière et David Daudé. Quorum sensing et Quorum quenching : Comment bloquer la communication des bactéries pour inhiber leur virulence ? Médecine Sciences. 2019.

3-    Howard Ceri, Merle E. Olson, Raymond J Turner. Needed, new paradims in antibiotic development. Expert opinion on pharmacotherapy. 2010.

4-   Agnès Roux et Jean-Marc Ghigo. Les biofilms bactériens. Académie Vétérinaire de France. 2006.

5-   Sylvie Miquel, Rosyne Lagrafeuille, Bertrand Souweine et Christiane Forestier. Anti-Biofilm activity as a health issue. Frontiers in microbiology. 2016.

6-   David Lebeaux, Jean-Marc Ghigo. Infections associées aux biofilms. Médecines sciences. 2012.

7-   Kadi Diaby. Les biofilms en industries agroalimentaires : optimisation de leur élimination. Thèse Université de Lille 2. 2018.





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23 octobre 2024
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