“Darwin avait une capacité de travail et d’observation exceptionnelle, ainsi qu’une grande humilité”

“Darwin avait une capacité de travail et d’observation exceptionnelle, ainsi qu’une grande humilité”

Dans les pantoufles de Darwin est une œuvre singulière, mêlant rigueur historique et scientifique, avec une belle touche d’humour. 


Camille Van Belle et Adrien Miqueu révèlent un Darwin touchant, plein d’humour et d’intelligence, loin de l’image figée du savant austère. Grâce à une approche originale basée sur sa foisonnante correspondance, ils parviennent à démystifier la figure du génie tout en offrant un véritable plaisir de lecture. Cette bande dessinée scientifique montre à quel point l’histoire des sciences peut être accessible, passionnante et amusante, pour peu qu’on en adopte le bon angle. Entretien avec deux journalistes scientifiques qui relèvent haut la main le défi de la vulgarisation scientifique.


Cortex_sciences (C. S.) : Pourriez-vous chacun vous présenter et nous parler de vos parcours respectifs ainsi que de ce qui vous a amené à vous intéresser à l'histoire des sciences ?


Camille Van Belle (C. V. B.) : Nous sommes tous les deux journalistes scientifiques. J'ai une formation en biologie moléculaire.


Adrien Miqueu (A. M.) : Et moi, je suis physicien.


C. V. B. : J'ai un master en biologie moléculaire, et Adrien est physicien de l’EPFL en Suisse. On s'est rencontrés en master de journalisme scientifique de Lille. Pour ma part, c'est après mon master en biologie que j’ai compris que la thèse n'était vraiment pas pour moi. Un collègue m’a parlé du master de journalisme scientifique de Lille et, comme j'étais de la région, j'ai tenté ma chance. Le master forme des scientifiques au journalisme en un an, ce qui est plus simple que de former des journalistes aux sciences rapidement.


A. M. : J'ai toujours aimé dessiner et vulgariser. Après un master en physique à Lausanne, j'ai donc postulé au master de journalisme scientifique de Lille, et j'ai eu la chance de rencontrer Camille là-bas. On était les deux dessinateurs de la promo, et plutôt que de se confronter, on a allié nos forces. Nous travaillons ensemble depuis huit ans.


C. S. : Qu'est-ce qui vous a poussés à collaborer pour Dans les pantoufles de Darwin alors que Camille avait déjà travaillé seule sur Les Oubliés des sciences ?


C. V. B. : Les Oubliés des sciences est un projet que j'ai réalisé seule pour Sciences et Vie Junior. L'éditeur m'a ensuite proposé de poursuivre dans cette direction avec un album sur Darwin. J’ai demandé à collaborer avec Adrien pour ce projet car un an, c’était court pour un tel travail. À deux, cela nous permettait de partager les recherches et de fondre nos styles de dessin pour respecter les délais.


A. M. : Après quelques années en tant que journaliste scientifique, j’ai aussi commencé une thèse en histoire des sciences à Lausanne, ce qui a enrichi ma contribution sur le plan historique, en plus du dessin.


C. S. : Comment avez-vous réparti les rôles pour cette bande dessinée ? Vous parliez d’une collaboration très homogène.


C. V. B. : Oui, on a vraiment tout fait à deux. On faisait les recherches ensemble, on lisait les lettres, puis chacun de notre côté on faisait un premier brouillon, ou rough. Ensuite, Adrien faisait l’encrage pour uniformiser les dessins, et moi je faisais la mise en couleurs.


A. M. : C’était très collaboratif. Par exemple, on a structuré la BD en lisant les lettres de Darwin et en les sélectionnant par thème, puis on a décidé ensemble comment transformer ces lettres en séquences illustrées.


C. S. : Ce projet s’appuie sur une immense base de correspondance. Comment avez-vous abordé ces 15 000 lettres ? Est-ce que certaines vous ont particulièrement marqués ?


A. M. : On n’a évidemment pas lu les 15 000 lettres en entier, mais grâce au Darwin Correspondence Project, on a pu faire des recherches par mots-clés et ainsi lire des centaines de lettres. Ce projet, lancé en 1974 à Cambridge, a permis de transcrire et annoter l’ensemble de la correspondance de Darwin… Un travail titanesque.


C. V. B. : On a utilisé cette base pour chercher des thèmes qui ressortaient, comme les pigeons ou les lettres où Darwin parle de sa maladie. On tombait parfois sur des choses très surprenantes. Par exemple, Darwin a reçu des lettres avec des pièces jointes étonnantes, comme des poils de poney ou une patte de poulet.


C. S. : À propos des lettres, comment avez-vous décidé de l’approche narrative ?


C. V. B. : L’idée était de se concentrer sur les aspects moins connus de Darwin. Par exemple, son rapport aux animaux, sa famille, sa maladie. Et tout ce qui est entre guillemets dans la BD, c’est du Darwin authentique. Ce sont des citations tirées directement des lettres. Cela permet au lecteur de savoir quand on parle de faits réels et quand on interprète un peu plus librement.


A. M. : L’approche par lettres nous permettait de structurer la bande dessinée en thématiques. À partir de là, nous avons trouvé une façon chronologique et logique de relier tout cela, mais le lecteur peut très bien picorer le livre par-ci par-là sans avoir besoin de suivre un ordre précis.


C. S. : Darwin avait donc une personnalité bien différente de l’image que l’on peut se faire du grand scientifique austère…


C. V. B. : Complètement. Ce qui ressort, c’est sa douceur, son humour et son attachement aux animaux. Il personnifiait beaucoup ses plantes et animaux, par exemple, il avait une plante carnivore préférée qu'il appelait sa petite Drosera. Il avait aussi un côté très affectueux et loyal envers ses amis, qui l’ont aidé à défendre sa théorie quand lui-même était trop malade.


A. M. : Darwin n’était pas un génie au sens classique. Il se considérait comme une personne d’intelligence moyenne. Mais il avait une capacité de travail et d’observation exceptionnelle, ainsi qu’une grande humilité. Il a mis des décennies à formuler ses idées, notamment grâce au temps qu’il avait pour se consacrer à ses recherches.


C. S. : Quels ont été les plus grands défis dans la création de cet ouvrage, que ce soit au niveau de la recherche ou de la réalisation artistique ?


C. V. B. : La quantité de documentation était un défi, comme lire autant de lettres, et en laisser de côté beaucoup intéressantes, mais non pertinentes pour notre projet. Il fallait aussi réussir à fondre nos deux styles graphiques pour que le résultat soit homogène.


A. M. : Et puis, c’était un vrai travail de puzzle pour trouver l'ordre des parties, même si la structure thématique nous a beaucoup aidés. Le but était aussi que l’album puisse être lu dans n'importe quel ordre avec, à chaque fois, une anecdote amusante ou un fait marquant sur Darwin.


C. S. : Justement, l’humour tient une place importante dans votre bande dessinée. Pour vous, quelle est la place de l’humour dans la vulgarisation scientifique ?


C. V. B. : L’humour est indispensable. Il permet de rendre la science plus accessible, surtout aux gens qui ne s’y intéressent pas forcément. Mon objectif est de parler de science à un public non passionné, pour leur montrer que ce n’est ni effrayant ni trop compliqué. L’humour permet de dédramatiser et d’accrocher l'attention du lecteur.


A. M. : Oui, et dans notre cas, les lettres de Darwin étaient déjà drôles en elles-mêmes, ce qui facilitait la tâche. L’humour permet aussi de désacraliser la figure du grand scientifique qu’on imagine souvent austère.


C. S. : Avez-vous d’autres projets en cours ou à venir ? Comptez-vous explorer la vie d’autres figures scientifiques ?


C. V. B. : On a plusieurs idées, mais on ne peut pas encore en parler. Nous aimerions continuer à explorer des figures historiques et scientifiques sous un angle original.


A. M. : L’idéal serait de trouver un autre sujet aussi riche que Darwin, avec autant de sources à exploiter. On a quelques pistes, mais cela dépendra des matériaux disponibles.


Dans les pantoufles de Darwin, Mes potes, mes pigeons, mes emmerdes, de Camille Van Belle et Adrien Miqueu, Éditions Alisio, 200 p., 22,90 €.


cevebe_dessin


@donaldrien
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6 m
3 octobre 2024
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