L’évolution peut prendre plusieurs
formes et fascine par sa complexité apparente. Une préférence pour un détail
physique, un comportement chez un partenaire sexuel peuvent avoir été façonnés
par un processus évolutif, la sélection sexuelle.
Certains caractères
sexuels secondaires renseignent le partenaire sur les bénéfices directs qu’il
va obtenir (voir l’article «La sélection sexuelle, une histoire de séduction»). Cependant, ce n’est pas toujours le cas. Cela est notamment
remarquable chez les espèces formant des leks. Ce sont des rassemblements de
mâles dans une aire de parade, au cours desquels ceux-ci vont tenter de séduire
des femelles. Après l’accouplement, les femelles repartent sans ressources
nutritives, territoire de qualité, protection et le mâle ne s’occupera jamais
de sa progéniture. Pour autant, les femelles ne choisissent pas n’importe qui
pour s’accoupler. Certains mâles ont beaucoup plus de succès que d’autres. Comment
font-elles leur choix? Possiblement en sélectionnant un mâle avec des
caractères sexuels secondaires très développés.
Les préférences de madame
Un premier modèle, le
modèle de Fisher-Lande, considère deux traits: un caractère sexuel
secondaire exprimé chez les mâles et une préférence pour ce caractère exprimé
chez les femelles. A l’origine, la préférence des femelles pourrait s’expliquer
par le fait qu’un mâle possédant ce trait avait une meilleure chance de survie.
Cependant, une préférence trop marquée conduirait les mâles à surexprimer le
trait au détriment de leur survie.

Représentation
graphique du modèle de Fisher-Lande
W:
Taille moyenne du trait pour lequel un mâle a le plus de chance de survie
T:
Taille moyenne du trait chez les mâles selon les situations
P:
Préférence des femelles pour une certaine taille du trait
Quand
les femelles ne présentent pas de préférence, la taille du trait assurant une
meilleure survie aux mâles est sélectionnée au cours du temps par sélection
naturelle. Lorsque la préférence des femelles apparaît, la sélection sexuelle
fait tendre le trait mâle vers l’optimum des femelles.
Ce n’est pas la taille qui compte… enfin pas toujours
Un
processus d’emballement fisherien peut subvenir dès lors que la préférence des
femelles pour la taille du trait est forte et généralisée, et qu’à l’inverse le
trait affecte peu la survie du mâle. Cela signifie que la taille du trait aura
tendance à sans cesse augmenter au cours du temps au même titre que la
préférence des femelles. Des caractères sexuels secondaires très extravagants
peuvent ainsi apparaître.

Une
hirondelle de rivage et une hirondelle rustique en vol
Les
filets des hirondelles rustiques pourraient avoir évolué de cette façon. De
nombreuses études ont montré que ce trait a évolué par sélection sexuelle. Les
filets du mâle sont en moyenne un peu plus long que ceux de la femelle mais une
sélection sexuelle mutuelle s’opérerait chez cette espèce: mâle et
femelle exprimeraient une préférence pour de longs filets.

Graphiques
présentant le temps de vol pour sortir d’un labyrinthe (représentant la
capacité de vol) en fonction de la manipulation de la longueur des filets des
mâles (rond noir; à gauche) et femelles (rond blanc; à droite).
ROWE et al, 2001
La
taille moyenne des filets des individus mâles et femelles ne leur permet pas
d’avoir la meilleure capacité de vol. La capacité de vol des individus est
améliorée lorsque la taille des filets est réduite jusqu’à 12 mm. Au-delà de
cet optimum, la capacité de vol diminue. La présence des filets semble
toutefois faciliter le vol des hirondelles rustiques. Afin de vérifier cette
hypothèse, des filets ont été rajoutés artificiellement à une espèce voisine
qui en est dépourvue, l’hirondelle de rivage. A la suite de cette manipulation,
l’hirondelle de rivage a amélioré sa capacité de vol. Il est alors possible
d’imaginer que les filets soient apparus chez l’hirondelle rustique et ont été
sélectionnés, dans un premier temps, par sélection naturelle. Par la suite, la
sélection sexuelle (par la préférence du sexe opposé pour le trait) a
sélectionné des filets plus longs qui réduisent les chances de survie des
individus (vol altéré) mais favorisent leur reproduction.
Bénéfices indirects
Selon
ce modèle, l’avantage apporté à la descendance de la femelle qui s’est
reproduit avec un mâle à la hauteur de sa préférence (et inversement selon les
espèces) est d’exprimer le caractère extravagant qui leur assurera un plus
grand succès de reproduction à l’âge adulte.
Un handicap à la hauteur de
la qualité individuelle
Un
second modèle, le principe du handicap, suppose que les caractères sexuels
secondaires constituent un handicap que seuls les individus de meilleure qualité
peuvent exprimer.
Chopper ou se faire croquer
Des
couleurs vives, des vocalisations stridentes ou des signaux odorants sont très
utiles pour accéder à un partenaire reproducteur. Cependant, ces caractères
sexuels secondaires permettent aux prédateurs de mieux repérer leurs proies. Seuls
les individus qui ont de meilleures chances d’échapper à cette prédation vont
donc exprimer ces signaux. Les individus en mauvaise condition physique
n’auraient aucune chance de survie s’ils exprimaient ce handicap.
La drague, ça fatigue
Les
comportements de parade intense sont particulièrement éprouvants pour les
individus. L’énergie qu’ils y mettent ne pourra être allouée à une activité
vitale comme la recherche de nourriture. Ainsi, les individus effectuant les
plus longues et impressionnantes parades sont ceux qui peuvent se le permettre,
soit parce qu’ils utilisent moins d’énergie dans les activités vitales, soit
parce qu’ils ont plus d’énergie à revendre.

Représentation
schématique illustrant l’utilisation de l’énergie disponible par individu dans
des activités vitales ou de parade.
Montre-moi
ton dossier médical
Certains
caractères sexuels secondaires peuvent même renseigner sur la qualité du
système immunitaire des individus. C’est notamment le cas de la couleur jaune
ventrale chez les mésanges bleues. Les individus les plus colorés ont tendance
à être parasités par un seul genre de parasites sanguins contrairement aux
individus plus ternes parasités par plusieurs genres de parasites sanguins.

Relation
entre l’intensité de la couleur jaune et le nombre de genres de parasites
sanguins différents chez la mésange bleue. DEL CERRO et al. 2010
Cet
effet sur l’immunité s’explique par le rôle que joue le pigment responsable de
cette couleur jaune sur le système immunitaire. En effet, celui-ci fait partie
de la famille des caroténoïdes et possède des propriétés immunostimulantes,
c’est-à-dire qui stimulent le système immunitaire.
Les
caroténoïdes sont responsables de nombreux signaux colorés chez les espèces
animales et notamment chez les oiseaux. Ces signaux peuvent être jaunes,
orangés, rouges et même roses.

Espèces
d’oiseaux dont les signaux colorés sont dus à l’expression des caroténoïdes.
A: Cardinal rouge mâle. B: Flamand rose. C: Merle noir mâle
(bec). D: Bruant Jaune mâle.
Les caroténoïdes alloués
dans la fonction immunitaire ne pourront pas être alloués aux signaux colorés
et inversement. Ce type de caractères sexuels secondaires représente donc un
handicap immunitaire.
Bénéfices indirects
Les différents handicaps
présentés fonctionneraient donc comme des signaux honnêtes renseignant sur
l’aptitude des individus à survivre, expliqué également sous le nom d’hypothèse
des bons gènes. Ces «bons gènes» se transmettent à leur
descendance. Ainsi, la descendance hérite de l’aptitude du parent (bonne
condition physique, bon système immunitaire, etc.) et du caractère sexuel
secondaire.
Une question de préférence
Un dernier modèle, le
principe d’exploitation sensoriel, explique que des biais sensoriels
préexistants au sein des espèces peut expliquer l’évolution de certains
caractères sexuels secondaires. Chez les guppies, les femelles préfèrent les
mâles les plus orangés. Cette préférence pour la couleur orange existe
également en dehors de tout contexte sexuel: les guppies vont être
attirés par tout élément orange se trouvant à proximité. Cette préférence
trouverait son origine dans des mécanismes liés à la détection de nourriture,
notamment pour découvrir des aliments riches en sucres, protéines et
caroténoïdes.

Guppies
mâle aux couleurs orangées.
Les mâles de cette espèce
«exploiteraient» donc le biais sensoriel, présent chez les
femelles, pour la couleur orange. Cette exploitation n’est pas consciente et la
couleur orange présente sur le corps du mâle est sans doute apparue
aléatoirement. Cependant, la préférence des femelles pour cette couleur a pu
maintenir ce trait mâle au fil des générations et potentiellement l’accentuer.
La
complexité de la sélection sexuelle
L’évolution des
caractères sexuels secondaires pourrait donc s’expliquer par un de ces modèles.
Les bénéfices indirects apportés à la descendance seraient une plus grande
attractivité auprès du sexe opposé et/ou une meilleure aptitude à survivre. Il
est intéressant de noter que certains traits renseigneraient à la fois sur les
bénéfices directs apportés à l'individu qui choisit un partenaire sexuel et sur
les bénéfices indirects apportés à la descendance.
Et l’humain dans tout ça?
Chez
l’être humain, certains traits auraient également évolué par sélection
sexuelle. Les femmes exprimeraient notamment des préférences pour la
musculature, la taille et la voix grave. Ces caractères pourraient apporter des
bénéfices directs mais également des bénéfices indirects qui pourraient avoir
évolué selon les modèles décrits. Nos préférences ne seraient-elles qu’une
histoire d’évolution?
Sources:
1. DANCHIN E, GIRALDEAU L.A, et CÉZILLY F. - 2005Écologie comportementale: cours et questions
de réflexion, troisième partie, chapitre 9. Dunod.
2. DEL CERRO S, et al. - 2010
Carotenoid-based plumage colouration is associated with blood parasite richness
and stress protein levels in blue tits (Cyanistes caeruleus).Oecologia162.4:
825-835.
3. GANGESTAD S.W &
THORNHILL R. – 2008 Human oestrus. Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences, 275, 991-1000
4. JENNIONS M.D., MØLLER A.P. et
PETRIE M. – 2001, Sexually selected traits and adult survival: a meta-analysis.
Quaterly Review of Biology, n° 76, p. 3-36.
5. RODD F.H., HUGHES K.A., GRETHER G.F. et BARIL C.T. –
2002, A possible origin for mate preference: are male guppies mimicking fruit?
Proceedings of the Royal Society London. Series B, n° 269, p. 475-481
6. ROWE L.V., EVANS M.R. et BUCHANAN K.L. – 2001, The
function and evolution of the tail streamer in hirundines. Behavioral Ecology,
n° 12, p. 157-163.
7. https://p8.storage.canalblog.com/84/55/458845/116904737.jpg
8. https://p8.storage.canalblog.com/89/67/458845/116904894.jpg
9. https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/9/9d/Turdus_Merula_in_Saint_Sernin_Croped.jpg
10. https://www.zoodelahautetouche.fr/sites/hautetouche/files/thumbnails/image/flamants_roses_c_gerard_proust.jpg
11. https://www.oiseaux.net/photos/rene.dumoulin/images/id/bruant.jaune.redu.14p.jpg
12. https://birdscoo.com/wp-content/uploads/2020/05/Northern-Cardinal.jpg?ezimgfmt=ng:webp/ngcb1
13. https://encrypted-tbn0.gstatic.com/images?q=tbn:ANd9GcR2bbEYdYbtL7DlDN5HYLQH-bGAwycDf8n5tA&usqp=CAU
14. https://lh3.googleusercontent.com/proxy/8-YBb6kALHlsebac3GfzuS-u8OdC__-7RCi-ePOGu19ZRrkvEfnqRRh-O3Xa6yoiO6HDOmwXo9BaUknqKD4efZMJ-g8TG9_w-ACkJ3Se
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