Amnésie dissociative

Amnésie dissociative

Tout le monde connaît le terme « amnésie ». Mais de quoi s’agit-il réellement ?

Les amnésies sont de graves troubles de la mémoire. Ces troubles sont causés par une blessure ou une maladie cérébrale, un abus de substances, des mécanismes psychologiques ou mixtes. On trouve des études mettant en avant des patients présentant des troubles de la mémoire après avoir vécu des événements fortement désagréables ou traumatiques. L’événement traumatique est mal mémorisé et cela impacte les souvenirs précédant (rétrogrades) et suivant (antérograde) celui-ci. Le terme amnésie dissociative désigne un trouble général de la mémoire ou un symptôme dissociatif d'un autre trouble. Les symptômes dissociatifs négatifs se réfèrent à une diminution de la mémoire (amnésie, oubli), tandis que les symptômes positifs se réfèrent à une augmentation de cette dernière (hypermnésie, souvenirs précis).

Illustration - Amnésie (Source : lemonde.fr)

Le terme amnésie dissociative regroupe différents troubles en termes de présentations cliniques et neuropsychologiques, ainsi que de nombreuses définitions différentes. Certaines personnes subissent des pertes d’informations personnelles sur plusieurs années de vie (la récupération de l’information est bloquée). D'autres personnes peuvent avoir une amnésie concernant seulement des parties de l’événement traumatique (l’enregistrement de l’information est incomplet à cause de la surexcitation émotionnelle). En général, l’amnésie touche seulement le moment stressant tout en laissant les autres aspects de vie intactes. On prétend souvent que ces personnes peuvent plus tard retrouver la mémoire. Cette théorie concernant l'amnésie dissociative reste très controversée, certains auteurs suggérant qu'elle est courante et d'autres suggérant qu'elle est dépourvue de preuves.

La définition des troubles dissociatifs est liée au traumatisme ou au stress. Elle est mise en évidence par la 10ème édition de la Classification internationale des maladies (CIM-10) qui suggère que le traumatisme ou le stress psychologique sont des acteurs clés dans les causes de l'amnésie dissociative. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un critère diagnostique explicite dans la 5ème édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5), l’amnésie dissociative y est rangée aux côtés des traumatismes et des troubles liés au stress. Il existe deux modèles qui considèrent les amnésies dissociatives rétrogrades comme le résultat d'une récupération d’un souvenir impossible.

 
Figure 1
Les quatre principaux lobes du cortex incluant le cervelet et le tronc cérébral (Source : wikipédia.org)

Dans le premier modèle, Kopelman a postulé que le stress psychologique en combinaison avec d'autres facteurs psycho-socio-biologiques impacte le système exécutif frontal, qui se trouve dans le lobe/cortex préfrontal, ce qui provoque cet oubli. Dans le deuxième modèle, Markowitsch affirme que dans l'amnésie dissociative rétrograde, ces événements traumatiques provoquent une libération d'hormones liées au stress entraînant ce qu’on appelle un syndrome de bloc mnésique. Ce syndrome est caractérisé par une désynchronisation des régions fronto-temporales lors de la récupération du souvenir (dont l’amygdale et l’hippocampe), en particulier dans l'hémisphère droit. Ce modèle est soutenu par des études montrant une dérégulation de l'axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HHS) dans l'amnésie dissociative, qui contrôle les réponses au stress.

Figure 2
L'axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HHS) en réaction à un événement stressant, avec l’impact des glucocorticoïdes (GC) sur les régions fronto-temporales.

De plus, des niveaux accrus d'hormones de stress aigu se sont avérés exercer un effet sur la mémorisation et la récupération de ces souvenirs.


Figure 3
Les glucocorticoïdes augmentent la consolidation des souvenirs mais diminuent leur récupération. L’effet des GC est modulé par celui de la noradrénaline (NA
).

Enfin, plusieurs études qui ont utilisé des méthodes d'imagerie fonctionnelle, comme l’IRM, ont fourni des preuves de changements métaboliques ou du flux sanguin dans des zones impliquées dans le traitement de la mémoire chez ces personnes, aussi appelées survivants.

En effet, la mémoire des victimes de traumatismes est perturbée d'au moins deux manières. Premièrement, les survivants ont des souvenirs intrusifs de l'événement traumatique au cours desquels reviennent de manière vivante et répétée des impressions sensorielles et des émotions perturbatrices associées à l'événement. Deuxièmement, elles ont des difficultés à se souvenir de parties importantes de l'événement. Ces caractéristiques ne sont pas que des observations faites par des chercheurs sur le Syndrome de Stress Post Traumatique (SSPT). Ils sont aussi inclus comme symptômes du SSPT dans la 5ème édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux.

À la lumière des résultats actuels, comment expliquer que certains patients souffrant de SSPT ont des difficultés à accéder à des aspects importants de leur traumatisme tout en souffrant en même temps de souvenirs intrusifs répétitifs de détails isolés ? L'explication la plus probable, selon Williams, vient de processus exécutifs réduits (comme dans la dépression), en partie en raison de rumination (ressassement) et d'inquiétude ou des tentatives d'éviter des souvenirs douloureux. Ces processus sont vitaux car ils permettent de sortir des habitudes, prendre des décisions et évaluer les risques, planifier l'avenir, prioriser des actions et faire face à des situations nouvelles. Dans le même temps, des découvertes récentes avec des individus déprimés suggèrent que cet oubli ne se généralise pas aux rappels intrusifs parce que le souvenir involontaire implique moins de surveillance exécutive. Ainsi, un patient souffrant de SSPT avec des fonctions exécutives réduites peut éprouver des difficultés à accéder volontairement à des détails précédant l’événement, y compris (mais sans s'y limiter) ceux de l'expérience traumatique, tout en éprouvant en même temps des souvenirs involontaires de ces détails.

Figure 4
 
Modèle CaR-FA-X de Williams = capture des ressources cognitives et rumination (CaR - Capture and rumination), évitement fonctionnel (FA - Functional Avoidance) et affaiblissement des capacités de contrôle exécutif (X)
Modèle à trois fa
cteurs décrivant les mécanismes sous-tendant la récupération de souvenirs (overgeneral autobiographical memory) et interrompant de manière prématurée le processus de recherche en mémoire (Source : researchgate.net)

Il est bon de savoir que des solutions existent. Pour récupérer la mémoire, il est par exemple important d’avoir un environnement sûr et favorable. Cette mesure seule conduit fréquemment à une récupération progressive des souvenirs manquants. Si ça n’est pas suffisant, une hypnose ou un état semi-hypnotique induit par un traitement d’appoint peut aider à la récupération. La psychothérapie quant à elle aide à faire face aux problèmes associés aux souvenirs récupérés d'événements traumatiques ou stressants. Une fois l'amnésie levée, cet accompagnement permet de donner un sens au traumatisme ou au conflit sous-jacent, de résoudre des problèmes associés à l'épisode amnésique, et surtout, de permettre aux patients de vivre leur vie plus sereinement.

Sources :


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17. https://www.youtube.com/watch?v=Bj9BWfreKDM


18. https://www.lemonde.fr/blog/realitesbiomedicales/tag/amnesie-retrograde/


19. https://fr.wikipedia.org/wiki/Lobe_(cerveau)


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