Canal artériel persistant : quand le cœur résiste à la fermeture

Canal artériel persistant : quand le cœur résiste à la fermeture

Malformation congénitale moyennement fréquente, le canal artériel persistant résulte d’une mauvaise adaptation du cœur à la mise en place de la respiration lors de la naissance. Tel un Shadock, le cœur se met alors à pomper encore et encore… dans le vide ou presque.



Adaptation de l’anatomie cardiovasculaire du fœtus


Pendant la grossesse, les poumons du fœtus ne sont pas fonctionnels, l’oxygène lui parvenant directement de sa mère par le placenta rattaché au cordon ombilical. Le cœur fœtal est donc un peu différent du cœur adulte pour éviter que le sang n’aille chercher à s’oxygéner dans les poumons inutilement. Il existe deux dérivations ou shunts cardiaques de la circulation sanguine par lesquelles la majorité du flux sanguin va s’écouler : 

  • Le foramen ovale qui permet la communication entre les deux oreillettes du cœur  
  • Le canal artériel qui permet au sang de circuler directement entre l’artère pulmonaire et l’aorte sans avoir à faire de passage par les poumons

Représentation de la circulation sanguine fœtale avec les deux dérivations cardiaques, le canal artériel et le foramen ovale (D’après https://www.dr-karazaitri-ma.net/embryologie/circulation-foetale-2/)


Ces deux shunts permettent aussi d'entraîner la musculature du cœur et de se développer correctement.


Lors de la naissance, le bébé prend sa première bouffée d’air. Ses poumons deviennent fonctionnels. Il n’a plus besoin de sa mère pour pourvoir ses besoins en oxygène. Désormais, il capte l’oxygène grâce à son système pulmonaire et aux vaisseaux sanguins qui y parviennent. S’ensuivent plusieurs modifications au niveau cardiaque et pulmonaire qui vont conduire l’anatomie du bébé à se réadapter à cette nouvelle façon de prélever l’oxygène.


La pression diminue dans les poumons, ce qui permet à la microcirculation pulmonaire de se mettre en place. Cela entraîne une inversion de pression entre oreillettes droite et gauche et permet une fermeture fonctionnelle progressive du foramen ovale. En parallèle, la pression dans l’aorte augmente et inverse la tendance des pressions entre elle et l’artère pulmonaire. Se produit alors un changement de la direction de la dérivation qui va laisser le sang oxygéné de l’aorte se glisser dans le sang non oxygéné de l’artère pulmonaire. Dans le même temps, la pression partielle en O2, qui reflète l’absorption d’oxygène par les poumons, augmente dans l’aorte du fait de la respiration autonome du bébé. La modification de ces paramètres associée à une diminution des concentrations en molécules appelées prostaglandines produisent la contraction des muscles lisses des parois du canal artériel jusqu’à provoquer sa fermeture dans les heures qui suivent la naissance. Après quelques semaines, le canal artériel est le plus souvent devenu un ligament appelé ligament artériel.



Quand tout ne se passe pas comme prévu


Il est cependant possible que les événements ne s'enchaînent pas de la sorte. Les dérivations restent alors ouvertes donnant lieu à l’établissement sur la durée d’un shunt gauche-droite, c’est-à-dire au passage de sang oxygéné (dans le cœur gauche) vers le sang non oxygéné (dans le cœur droit).


Dans le cas d’une non-fermeture ou d’une fermeture partielle du canal artériel au-delà de 3 mois de vie, on parle de Canal Artériel Persistant ou CAP. Il s’agit d’une malformation congénitale qui survient dans 1 cas sur 2000 à 1 cas sur 5000 suivant les études. Cette pathologie est fréquente, notamment chez les bébés prématurés et grands prématurés. Les poumons n’étant pas matures, on comprend aisément que les adaptations nécessaires aux modifications de l’anatomie du cœur ne peuvent pas s’opérer correctement.


Les causes de cette cardiopathie ne sont pas claires dans tous les cas, mais on en recense plusieurs possibles : la prématurité, les infections transmises par la mère au bébé à la naissance ou en fin de grossesse, des facteurs environnementaux (comme la prise de médicaments par la mère ou un accouchement en altitude) ou encore des prédispositions génétiques plurifactorielles (mais aucun gène unique n’a été identifié).



De vrais marathoniens !


Les conséquences de la persistance de circulation entre l’aorte vers l’artère pulmonaire dépendent du diamètre d’ouverture du canal, mais peuvent être lourdes. En effet, si l’ouverture résiduelle est très petite, il n’y aura le plus souvent aucun symptôme. Mais plus l’ouverture est grande et plus le flux sanguin passant de l’aorte à l’artère pulmonaire sera important. En d’autres mots, du sang déjà oxygéné, rejoint le sang non oxygéné pour être inutilement réoxygéné dans les poumons. Le flux oxygéné arrivant aux organes est donc diminué et cela demande au cœur un effort constant pour pomper et envoyer suffisamment de sang oxygéné à l’organisme. Globalement, le ressenti pour l’enfant est tel que s’il était continuellement en train de courir ou de faire du sport. Dans la durée, cela conduit à une surcharge de travail pour le cœur gauche et l’apparition de symptômes d’insuffisance cardiaque qui peuvent conduire à consulter. On retrouve parmi eux un retard de croissance et/ou une stagnation de la courbe de poids, un essoufflement dans des situations banales, un rythme cardiaque trop élevé. L’enfant peut également développer une hypertension artérielle pulmonaire qui va aussi conduire à une insuffisance cardiaque droite. Mais le point d’appel qui conduit le plus souvent le corps médical à orienter vers un cardio-pédiatre est la détection d’un souffle cardiaque dont les caractéristiques évoluent suivant la gravité du CAP. L’échocardiographie pratiquée par un cardio-pédiatre permet de confirmer ou non la suspicion d’un CAP. On peut y relever divers paramètres comme le diamètre du canal, la vitesse du sang dans le canal artériel ou encore le volume du cœur gauche qui sont autant d’éléments pour caractériser le CAP et guider le médecin à la décision du traitement.



Traitements médicamenteux ou chirurgie ?


Deux types de prise en charge sont envisagées selon si l’enfant est prématuré ou né à terme.

Les traitements médicamenteux consistent en l’utilisation d’anti-inflammatoires non stéroïdiens de la même famille que l’ibuprofène, l’indométacine étant la molécule la plus utilisée. Pourquoi ces molécules ? Eh bien, comme nous l’avons évoqué précédemment, la fermeture du canal artériel est liée à la modification de paramètres physiques entre poumons et cœur, mais aussi à la diminution de la présence de molécules appelées prostaglandines. Et ces anti-inflammatoires ont justement la capacité de faire diminuer les concentrations en prostaglandines et donc aider à la fermeture du canal. Ces médicaments ne sont indiqués que chez les prématurés car inefficaces chez les enfants nés à terme. 

La seconde solution est la fermeture par cathétérisme. Il s’agit d’une méthode semi-invasive qui vise à insérer un petit dispositif (il en existe plusieurs formes) pour boucher le canal à l’aide d’un cathéter. Ce dernier est introduit par l’artère fémorale (en haut de la cuisse) et remonte par les vaisseaux jusqu’au cœur afin de déposer la prothèse. Une fois en place, le corps va naturellement générer une sorte de cicatrice tout autour du dispositif. Ainsi, le canal sera définitivement bouché. En 2021, cette technique a été utilisée pour la première fois chez un prématuré grâce à un dispositif spécialement conçu pour les bébés nés avant terme.


Exemples de dispositifs utilisés pour la fermeture d’un CAP par cathétérisme (Source : https://www.cardiovascular.abbott/us/en/hcp/products/structural-heart/structural-interventions/amplatzer-pda.html)


Dans de très rares cas, une chirurgie ouverte sera nécessaire pour accéder au canal afin de le boucher. Après le traitement par médicament ou par cathétérisme, les symptômes régressent naturellement dans la majorité des cas et l’enfant n’en garde aucune séquelle.


Les techniques évoluent et les dispositifs médicaux dédiés sont de plus en plus performants. Le CAP n’est donc pas une fatalité. Un diagnostic posé au plus tôt et une prise en charge adaptée permettront de rétablir la situation et de pallier la nature qui parfois n’obéit pas parfaitement aux règles établies.



Sources

  1. Marion Follenfant. Fermeture du canal artériel par voie percutanée : analyse de l’expérience grenobloise sur les onze dernières années. Thèse de doctorat en médecine. 2016
  2. Rym Gribaa et al. Fermeture percutanée de canal artériel persistant, quelle prothèse faut-il choisir ? Tunis Med. 2021
  3. https://www.chu-toulouse.fr/au-chu-de-toulouse-une-technique-innovante-pour
  4. https://embryology.ch/fr/organogenese/systeme-cardiovasculaire/pathologie/shunt-gauche-droite-%28acyanotiques%29/canal-arteriel-persistant.html?p=3.0
  5. https://www.em-consulte.com/article/1487201/persistance-du-canal-arteriel
  6. https://fr.freepik.com/vecteurs-libre/organe-interne-humain-coeur_27286645.htm#query=anatomie%20du%20coeur&position=9&from_view=keyword&track=ais
  7. https://www.msdmanuals.com/fr/professional/p%C3%A9diatrie/anomalies-cardiovasculaires-cong%C3%A9nitales/persistance-du-canal-art%C3%A9riel


Commentaires ( 3 ) :
H
HopefulF

mardi 5 décembre 2023

Répondre

" La manière dont le canal artériel persistant affecte la circulation sanguine et les symptômes associés est bien expliquée. Les avancées dans les traitements, en particulier le cathétérisme, ouvrent des perspectives positives. Un article informatif qui offre de l'espoir pour les enfants touchés par cette malformation. "

MMarie Aliset

mardi 5 décembre 2023

" Merci beaucoup pour votre intérêt pour mon article et pour votre retour. Il y a effectivement beaucoup d'espoir dans la prise en charge, de plus en plus facilitée, de cette malformation. "

6
68mt

mardi 5 décembre 2023

Répondre

" Un article clair et détaillé sur le canal artériel persistant. Les explications sur les conséquences de cette malformation et les options de traitement, notamment le cathétérisme, sont très instructives. Il est rassurant de voir comment la médecine progresse dans la gestion de ces situations délicates. "

MMarie Aliset

mardi 5 décembre 2023

" Je vous remercie pour votre retour et pour l'intérêt que vous avez porté à mon article. En effet, les progrès dans la prise en charge de nombreuses pathologies dont la persistance du canal artériel conduisent à être toujours dans l'espoir de soins plus pointus et adaptés. Et c'est là un point très réjouissant. "

S
Sam

mardi 5 décembre 2023

Répondre

" La compréhension du processus d'adaptation du cœur après la naissance est cruciale. Cet article met en lumière les défis liés au canal artériel persistant et les différentes approches thérapeutiques. L'évolution des techniques médicales, en particulier le cathétérisme, est encourageante pour l'avenir. "

MMarie Aliset

mardi 5 décembre 2023

" Merci pour votre retour et votre intérêt à la lecture de mon article. Les bébés ne sont pas des mini-adultes et c'est le challenge de la pédiatrie. L'adaptation du cœur est en effet un sujet essentiel à connaitre pour une prise en charge toujours meilleure de ce type de pathologie. "

10 m
15 novembre 2023
Auteurs
Partager

S'inscrire à notre newsletter

Nous publions du contenu régulièrement, restez à jour en vous abonnant à notre newsletter.