Cellules de crêtes neurales : les architectes méconnues du développement embryonnaire

Cellules de crêtes neurales : les architectes méconnues du développement embryonnaire

Structures transitoires du développement des embryons chez les vertébrés, les crêtes neurales sont constituées d’une population de cellules toutes particulières aux propriétés multiples et passionnantes. 



Actrices de la formation de nombreux organes, les crêtes neurales, entre autres exemples, permettent la formation de mâchoires, de cloisonnement du cœur, de système nerveux périphérique correctement fonctionnel… Pour comprendre de quoi il s’agit, il faut se replacer dans le contexte de l’embryogenèse. Lors de la 4e semaine de grossesse, l’embryon est encore peu développé et a une forme de disque. Se produit alors le processus de neurulation qui va donner naissance au système nerveux central, en commençant par une ébauche de cerveau et de moelle épinière (Figure 1). La plaque neurale se forme au centre de ce disque embryonnaire. Progressivement, la plaque va former une gouttière. Les bordures neurales, aux extrémités de la plaque, évoluent en crêtes neurales, surélevées sur la gouttière. Ce sont dans ces structures que sont situées les cellules de crêtes neurales (CCN). Et c’est à ce moment que tout va se jouer pour ces cellules au rôle éminemment important. Alors que la gouttière neurale s’apprête à se refermer pour former le tube neural, futur système nerveux central, les CCN vont délaminer. Cela signifie qu’elles vont progressivement se détacher, puis elles vont migrer vers les territoires des futurs organes dont elles sont à l’origine.

Figure 1 : Formation des crêtes neurales et devenir des cellules de crêtes neurales (Source : Simoes-Costa et coll., 2015)



La naissance de nouveaux organes

C’est la localisation de chaque cellule le long de l’embryon qui va déterminer cette migration. En effet, on distingue 5 populations de cellules de crêtes neurales (Figure 2) : 

  • Les crâniales : elles sont à l’origine d’une grande partie de la face et de la mâchoire (os, cartilage et tissu conjonctif, c’est-à-dire le tissu de soutien sous la peau et entre les organes), mais aussi des mélanocytes (qui sont des cellules pigmentaires) de la face, des cellules osseuses des dents, du tissu conjonctif de la thyroïde et des neurones des ganglions crâniens notamment.
  • Les vagales et les sacrales : elles permettent la mise en place du système nerveux digestif qui est nécessaire au péristaltisme et donc à la digestion.
  • Les cardiaques : elles donnent naissance au tissu conjonctif des grosses artères et aux mélanocytes du cœur.
  • Les troncales : elles se différencient pour développer la glande médullo-surrénale (au sein de laquelle sont synthétisées adrénaline et noradrénaline, deux hormones de réponse au stress), les cellules du système nerveux périphérique et les mélanocytes de l’organisme.

Figure 2 : Représentation des différentes sous-populations de CCN le long de l’embryon (Source : Knecht et coll., 2002)


La localisation de chaque cellule au sein des différents types de crêtes neurales va orchestrer leur migration avec brio grâce à une fine modulation de l’expression de certains gènes qui vont permettre le départ des cellules en question à l’endroit escompté. Puis, une fois dans leur territoire cible, les cellules subissent une différenciation spécifique au dit territoire grâce à l’expression d’une nouvelle combinaison de gènes. 

Ainsi, grâce à leur capacité de migration et à leur pouvoir de différenciation multiple qu’on appelle multipotence, permises grâce à des expressions différentielles de gènes, les CCN donnent naissance à une très grande variété d’organes et tissus du futur être humain. On comprend donc aisément leur caractère essentiel au développement humain, mais aussi de l’ensemble des vertébrés.



Quelle place dans l’évolution ?

L’apparition des crêtes neurales et des CCN à l’origine de multiples tissus et organes n’est pas le fruit du hasard, mais bien de l’évolution. Cela s’est produit il y a 550 millions d’années environ et a occasionné la modification de la face des vertébrés, embranchement alors très récent dans l’arbre de l’évolution (Figure 3). C’est grâce à leur apparition que la respiration nasale est devenue possible, comme la prédation orale en permettant le développement de la mâchoire dotée de dents. La présence des CCN a aussi permis de générer un crâne plus complexe permettant une meilleure protection du cerveau notamment. Ainsi, l’identité visuelle de la face des vertébrés a été créée grâce aux crêtes neurales.


Figure 3 : Représentation schématique de l’apparition des CCN au cours de l’évolution (Source : https://planet-vie.ens.fr/thematiques/developpement/phases-du-developpement/les-cellules-des-cretes-neurales-la-seule-chose)



Quand quelque chose cloche

D’après le nombre d’organes et tissus issus des CCN, on peut penser que s’il y a un grain de sable dans les rouages de l’évolution de ces cellules, cela va occasionner des problèmes développementaux et des handicaps à la naissance. Et en effet, il existe une catégorie de pathologies appelées neurocristopathies qui recensent l’ensemble des syndromes et maladies qui résultent d’un défaut dans le devenir des CCN. Ces pathologies résultent de mutations génétiques diverses qui se produisent dans les CCN et empêchent l’une des étapes de leur évolution : induction, délamination, migration ou différenciation.

Parmi les symptômes caractéristiques de ces pathologies, on retrouve des malformations au niveau du visage et des mâchoires, des problèmes de péristaltisme digestif, des taches de pigmentation sur la peau et des muqueuses, une mauvaise fonction cardiaque et des symptômes moteurs caractéristiques de dysfonctionnement des nerfs périphériques. Selon la pathologie, les symptômes sont plus ou moins associés entre eux. Et on constate qu’ils sont directement liés au mauvais développement des organes et tissus dérivés des CCN.

Ces maladies restent encore peu caractérisées et il est nécessaire que la recherche progresse afin d’espérer un progrès thérapeutique et une amélioration de la vie des patients.


Certains cancers, dits dérivés des crêtes neurales, prennent aussi leur origine dans une cellule issue elle-même de la différenciation d’une CCN. On retrouve principalement les mélanomes (issus de mélanocytes), les glioblastomes (issus des cellules de la glie) ou encore les Schwannomes (issus des cellules de Schwann).

Les CCN font l’objet de nombreuses études en regard notamment de l’expression de gènes particuliers et de l’activité de certaines protéines. LKB1 par exemple est une protéine cruciale dans le développement de ces cellules. Le groupe de recherche coordonné par Chantal Thibert au sein de l’Institut pour l’Avancée des Biosciences de Grenoble travaille activement à la meilleure compréhension du rôle de LKB1 dans ces cellules. Ces résultats pourraient, à long terme, permettre d’identifier des thérapeutiques innovantes pour traiter toutes pathologies bénignes ou malignes impliquant les CCN.




Les crêtes neurales et les cellules qui les constituent sont une avancée considérable de l’évolution permettant des changements majeurs dans le comportement des espèces nouvelles appelées vertébrés. Cependant, du fait de leur caractère essentiel à l’embryogenèse, des défauts de ces cellules peuvent conduire à des pathologies handicapantes pour lesquelles des traitements curatifs pourraient voir le jour grâce à la recherche. 

Mais loin d’avoir dit son dernier mot, l’évolution pourrait encore permettre aux vertébrés une meilleure adaptation à leur milieu et à leur mode de vie et donc générer une éventuelle nouvelle modification des crêtes neurales et de leurs précieuses cellules. L'avenir seul le sait.


Sources

1. C. Thibert et al. Functions of LKB1 in neural crest development: the story unfolds. Dev Dyn. 2023. 

2. G. Couly. La crête neurale embryonnaire construit notre identité faciale. Med Sci (Paris) 2019

3. N. Pilon. Treatment and Prevention of Neurocristopathies. Review Trends Mol Med. 2021

4. https://planet-vie.ens.fr/thematiques/developpement/phases-du-developpement/les-cellules-des-cretes-neurales-la-seule-chose


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8 m
23 avril 2024
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