Depuis quand savez vous que vous êtes un poisson ?

Depuis quand savez vous que vous êtes un poisson ?

Controverses et malentendus abondent autour du monde marin, au sujet de la classification des êtres vivants. Petit tour d’horizon… 

 


Avant, c’était le bazar

On nous apprend très tôt à classer et identifier les animaux, que ce soit dans la nature, à la télévision, dans un musée ou dans les livres. Avant 1735 et l’intervention du naturaliste et botaniste suédois Carl Van Linnaeus, l’organisation et la nomination des êtres vivants était complexe. Attention, la classification du savant avait de belles fondations, mais elle n’était pas complètement exacte. Elle était, en outre, aveuglée par la religion. Avec le temps, celle-ci a été corrigée. Cette étude et cette classification de façon hiérarchique se nomment la taxonomie, où l’on classe donc des taxons (des catégories). Comment se fait-il alors que les « poissons » ont été si mal classés ? Nous ne les connaissons pourtant pas d’hier. En effet, plusieurs naturalistes comme Aristote les ont observés et disséqués.

Avec chacun des termes, viennent des informations implicites sur la façon dont on rapporte un individu à d’autres groupes. Par exemple, un rat peut être aussi un rongeur, un mammifère, un vertébré et un animal. Lorsque l’on classe un individu, on le positionne dans un arbre du vivant où sa localisation est déterminée en fonction de ses caractères et de son évolution. Les chercheurs contemporains ne se basent plus uniquement sur les caractères visuels, car cela porte souvent à d’importantes confusions. Il est, de nos jours, commun de compléter les données dites morphologiques avec des données génétiques, grâce à un séquençage du génome de l'individu.

 


Mélange et confusion chez les poissons

L’une des plus grosses aberrations a été que l’on a longtemps mis dans le sac des « poissons » les cétacés, malgré leur appartenance reconnue par de nombreux scientifiques, au groupe des mammifères. Autre élément qui peut porter à confusion, cette définition régulièrement utilisée pour les poissons : « Le terme poisson décrit le plus précisément tout craniate non tétrapode qui a des branchies et dont les membres, le cas échéant, ont la forme de nageoires. »

Un craniate est un être vivant possédant un crâne cartilagineux ou osseux, qui protège un système nerveux se trouvant dans la partie antérieure de celui-ci. Quant au tétrapode, ce sont des vertébrés à quatre membres apparents ou non (reptiles, oiseaux, mammifères...). Une définition bien trop vague qui englobe de nombreux êtres vivants ne possédant pourtant pas de liens de parenté.

Si on poursuit notre réflexion de systématicien (le scientifique qui classe les êtres vivants), les poissons, contrairement aux oiseaux et mammifères, ne sont pas considérés comme un clade unique, donc un embranchement de plusieurs animaux ayant une organisation et une origine commune. On parle par conséquent d’un groupe paraphylétique. Pour faire simple, il s’agit d’un groupe d’êtres vivants qui, lors d’une classification phylogénétique (dans un arbre du vivant), comprend un ancêtre commun et certains descendants de cet ancêtre, mais pas tous.


Exemple de groupe paraphylétique sur arbre phylogénétique


Dans l’exemple ci-dessus, on observe que dans le cas de groupe paraphylétique, on n’inclut pas tous les descendants d’un même ancêtre commun. On ne considère donc pas les ancêtres communs avec les singes ou l’homme. Un groupe paraphylétique n’est plus reconnu en systématique de par cette incohérence de classification. Des caractères ne peuvent pas apparaître ou disparaître de façon spontanée dans l’évolution des espèces.

Le terme « poisson » comme groupe biologique est donc fortement à éviter. Pour confirmer et étayer cette incohérence, des animaux aquatiques, tels des mollusques, des crustacés, des seiches, des étoiles de mer, écrevisses, méduses… ont été identifiés comme poissons il y a des siècles. On y retrouvait également les phoques, les baleines, les amphibiens, les crocodiles. Les baleines et les dauphins sont à présent classés comme mammifères. 

 


Certains ont dit non

Aristote, en plus d’être un éminent philosophe, a exercé une grande influence en étudiant le vivant. Il a notamment été le premier à formuler la séparation entre poissons et cétacés. « Toutes les créatures qui ont un trou de soufflage respirent et inspirent car elles sont pourvues de poumons. Le dauphin a été vu endormi avec son nez hors de l’eau alors qu’il ronfle. Tous les animaux qui ont des seins sont vivipares à l’intérieur ou à l’extérieur, comme par exemple tous les animaux à poils tels l’homme et le cheval, et les cétacés comme le dauphin, le marsouin et la baleine –, car ces animaux ont des seins et sont pourvus de lait. »

Il y a une telle diversité de ces « poissons » qu’il est impossible de les classer tous et de les catégoriser correctement. Deux des exemples les plus parlants qui illustrent ce problème de classification concernent le poisson chat et le dipneuste. Le dipneuste est un animal marin qui appartient aux Sarcoptérygiens, où l’on retrouve notamment le Cœlacanthes que l’on qualifie un peu à tort de « fossile vivant ». Dipneuste signifie double système respiratoire, car ils possèdent un système branchial et pulmonaire. On peut donc se demander si c’est vraiment un « poisson ».



Photographie d’un Cœlacanthes


Quant au poisson chat ou Clarias gariepinus qui appartient au Claridés, il possède un premier arc branchial et un organe super branchial équivalent aux poumons, ce qui lui permet ainsi une respiration aérienne. Ce système l’autorise dans des conditions pauvres en oxygène dissous de satisfaire 80 à 90 % de ses besoins. La même question se pose : poisson ou non ?

Un Clarias gariepinus

 

Dans la taxonomie moderne, chaque groupe doit inclure tous les groupes qui en découlent, comme des poupées russes. Un rat reste un mammifère même si celui-ci a bifurqué sur l’arbre évolutif. Chaque branche étant parente de celle qui en découle.


Exemple d’arbre phylogénétique


On ne peut donc pas avoir de définition de poisson qui n’incluent pas tout ce qui a évolué à partir des poissons. Les amphibiens ayant évolué à partir des poissons, ils seraient par conséquent des poissons. Et les mammifères ayant évolué à partir d’animaux qui ont évolué à partir d’amphibiens, ils sont des poissons. Conclusion, nous sommes des poissons. Un paradoxe bien connu des biologistes qui amuse.

 


Recherche scientifique et classification des êtres vivants 

Aujourd’hui, même si le renouvellement au sein de la profession de systématicien est faible, il reste encore énormément d’espèces à découvrir, à identifier et à classer. Les nouvelles technologies de séquençage permettent aux chercheurs de mieux comprendre les liens de parenté entre espèces, mais aussi de retracer leur histoire évolutive dans le temps. Il s’agit de la phylogénie moléculaire. Cependant une fourmi ne se soucie pas d’être une fourmi. La classification des êtres vivants découle bien de la rigidité humaine à vouloir tout comprendre et mettre dans des cases ce qui l’entoure pour peut-être mieux se comprendre lui-même et comprendre ses origines.

 



Pour aller plus loin :

  • Why fish don’t exist, de Lulu Miller.

Lulu Miller, journaliste, raconte la vie David Starr Jordan, un taxonomiste possédé par le désir de mettre de l’ordre dans le monde naturel. On lui a attribué la découverte de près d’un cinquième des poissons connus des humains à son époque. Ses collections de spécimens ont été détruites par la foudre, par le feu et finalement par le tremblement de terre de San Francisco en 1906. En un instant, l’œuvre de sa vie a été brisée… Et il a compris que les poissons n'existent pas.

 




Sources :

1. Ali, N. M. et al. Fish Ontology framework for taxonomy-based fish recognition. PeerJ 5, e3811 (2017).

2. Kinds of Fishes. http://earthguide.ucsd.edu/fishes/kinds/kinds_what.html.

3. International, L. on E. / W. M. F. / P. R. Living on Earth: Why Fish Don’t Exist. Living on Earth https://www.loe.org/shows/segments.html?programID=20-P13-00022&segmentID=6'A=0.

4. Calisher, C. H. Taxonomy: What’s in a name? Doesn’t a rose by any other name smell as sweet? Croat Med J 48, 268–270 (2007).

5. Ashby, J. The absurdity of natural history – or, why humans are ‘fish’. The Conversation http://theconversation.com/the-absurdity-of-natural-history-or-why-humans-are-fish-69384 (2016).

6.        Wzorek, A. There is no such thing as a fish. ILLUMINATION https://medium.com/illumination/there-is-no-such-thing-as-a-fish-eca048dd6163 (2020).

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5 m
14 juin 2023
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