La nouvelle ère de la médecine sur mesure

La nouvelle ère de la médecine sur mesure

Fin 2016, le gouvernement lançait son plan Médecine France génomique 2025, un ambitieux projet pour révolutionner les soins de santé. Celui-ci a pour objectif de démocratiser l’utilisation des données génomiques personnelles afin d’améliorer la qualité des soins. Mais que recèlent réellement ces données et comment sont-elles en train de changer l'avenir de la médecine ?



Depuis une dizaine d’années, de nombreuses startups tech et deeptech proposant des services de médecine personnalisée voient le jour. Alliant données quantitatives de patients et dispositifs de pointe en matière d’intelligence artificielle et de technologies, ces nouvelles entreprises permettent un espoir dans les domaines de la prévention, du diagnostic et du traitement de certaines maladies.



Le début d’une révolution ?

Lors de la fécondation, la fusion entre le noyau de l’ovule et celui du spermatozoïde donne naissance à notre patrimoine génétique. L’expression de nos gènes détermine notre identité. La couleur de nos yeux, celle de nos cheveux. La moindre parcelle de notre corps est déterminée génétiquement. Et nos gènes définissent aussi notre sensibilité à certaines maladies et la réponse de notre corps à certains médicaments.


En 2000, le génome humain, c’est-à-dire l’ensemble des gènes d’une personne, était séquencé pour la première fois et ce, dans sa quasi-totalité. Le séquençage est une méthode de biologie moléculaire qui permet de décortiquer l’ADN afin de savoir quelle version de chaque gène est présente dans les cellules d’une personne. Depuis, grâce aux avancées scientifiques et technologiques, 38 nouvelles versions de séquençage du génome humain ont vu le jour, chaque fois plus complètes. La dernière date de 2022, et il semble qu’elle restera la dernière car intégrale. Depuis la réussite du premier séquençage, ces données génomiques (puisqu’ici l’ordre de grandeur est celle du génome) peuvent être précisées pour chacun d’entre nous. En plus de vingt ans, grâce aux avancées de la recherche, de nombreuses possibilités sont permises à partir de ses jeux de données personnelles :


-       Trancher sur la prédisposition à certaines maladies

-       Améliorer le diagnostic de certaines maladies rares

-       Prédire la réponse à certains médicaments en anticipant à la fois si le médicament va être efficace mais aussi, s’il doit l’être, d’adapter la dose à chaque patient


On comprend ainsi aisément que la mise en place de la médecine génomique conduit à une médecine personnalisée qui raccourcit le temps avant le diagnostic, optimise la prise en charge et les prescriptions médicamenteuses.



Les gens bien portants sont des malades qui s’ignorent !

Le séquençage du génome a permis de découvrir de nombreux gènes, de les positionner les uns par rapport aux autres sur les chromosomes, support de l’information génétique. Leur analyse a ensuite permis de comprendre le rôle de la protéine pour laquelle ils codent.


Certains allèles de gènes (variants d’un gène) sont dits « de prédisposition ». C’est-à-dire que la présence de la forme dite « de prédisposition » du gène à elle seule dans le génome d’une personne augmente la probabilité qu’elle développe la maladie à laquelle elle est associée statistiquement. Au fil des découvertes de ces facteurs de prédispositions, il a été mis au point des tests de dépistage de la présence ou non du gène à risque.


Dans certains cas, le gène en lui-même détermine si la maladie se développera. C’est le cas du gène de la huntingtine, responsable de la chorée de Huntington, une maladie neurodégénérative qui entraîne une dégradation motrice, cognitive et psychiatrique du patient jusqu’à la totale dépendance et perte de faculté intellectuelle. Dans ce cas, si le gène est présent alors la maladie finira tôt ou tard par se développer. Dans d’autres situations comme celle de cancers, ce sont des facteurs environnementaux, comme le tabac, qui vont entraîner la mutation de gènes qui vont alors adopter une forme de prédisposition. C’est le cas de EGFR, par exemple, qui est fréquemment muté sous l’effet du tabac et qui est un gène de prédisposition à certains sous-types de cancers du poumon.



Miroir, mon beau miroir, dis-moi… si ce médicament est fait pour moi

Les possibilités offertes par le séquençage du génome ont donné naissance à la pharmacogénétique (analyse des médicaments en rapport à un gène particulier) et à la pharmacogénomique (analyse des médicaments en rapport à plusieurs gènes). Ces deux sciences permettent de prédire l’efficacité et la toxicité de médicaments de nombreuses familles en étudiant la présence de certains variants de gènes pour chaque patient concerné.


Parmi les gènes étudiés, on retrouve un grand nombre de gènes qui vont être impliqués dans le métabolisme des médicaments (des gènes de la famille des cytochromes P450 notamment), c’est-à-dire leur traitement par l’organisme jusqu’à son élimination. Certains variants de ces gènes vont entraîner une accélération du métabolisme provoquant l’élimination trop rapide du médicament en question et ainsi une possible inefficacité du traitement. Au contraire, certains variants vont conduire à un ralentissement de ce métabolisme du médicament provoquant cette fois une toxicité par accumulation de la molécule médicamenteuse. En connaissant ces éléments génétiques, il est possible d’adapter le traitement et, éventuellement, la dose prescrite.


Par ailleurs, dans le domaine de la cancérologie, de plus en plus de traitements dits « ciblés » voient le jour depuis quelques années. Ces traitements visent à limiter l’activité de certaines protéines mutantes particulières, dans les cellules cancéreuses spécifiquement, ces protéines mutantes expliquant en partie le développement des cancers. Avant la prescription de ces traitements à un patient, il est essentiel d’aller repérer au niveau du génome si le gène de la protéine visée par le traitement souhaité est bien la forme mutée, cible du médicament, ou s’il s’agit de la forme normale, auquel cas, le médicament ne sera pas efficace pour éliminer la tumeur, sa cible étant absente. De plus, les tumeurs étant des environnements biologiques complexes, l’efficacité de certains traitements est aussi conditionnée à la présence d’autres mutations de gènes qui peuvent empêcher l’activité du médicament par divers mécanismes. Il est donc important de détecter également ces mutations avant l’initiation du traitement pour optimiser la réponse au traitement choisi et favoriser la guérison.




A nouvelle médecine, nouveaux défis

Un des défis majeurs de cette approche novatrice du soin est l’éthique. La base de ces analyses du génome est donc évidemment le consentement du patient qui doit être informé de l’utilité des tests dans le cadre de sa situation pour limiter les dérives d’utilisation hasardeuse des résultats obtenus.


Il existe un questionnement relatif à la quantité de données obtenues. En effet, lorsque les médecins cherchent une information génétique particulière, il peut arriver qu’il soit nécessaire d’explorer largement dans le génome. Que faire alors lorsque les médecins détectent une anomalie prédisant la survenue d’une autre maladie n’ayant rien à voir avec l’objet des investigations ? Faut-il l’annoncer ou la taire ? Ce point doit faire l’objet d’une discussion préalable avec le patient pour là encore éviter une dérive éthique à la médecine génomique.


Mais le point le plus remis en question au niveau éthique est la décentralisation du soin. En effet, la personnalisation produit en réalité des soins impersonnels : on ne soigne plus un patient mais une tumeur qui présente telle ou telle mutation par exemple. Le patient devient ses propres données biologiques et génétiques. Le corps médical peut facilement s’éloigner de l’humain au profit du numérique dans cette nouvelle forme de médecine.

 


De vrais enjeux sont à considérer concernant la médecine personnalisée. Les enjeux diagnostics et thérapeutiques soulèvent un réel espoir dans de nombreux champs médicaux. Mais l’éthique derrière ce nouveau processus de soin mérite l’attention de patients et médecins pour que dans le futur, il puisse révéler tout son potentiel en limitant les dérives identifiées.


Source


  1. ASSM. Aspects éthiques de la médecine personnalisée. Communications des académies suisses. 2019
  2. M.-A. Loriot et P. Beaune. La pharmacogénétique : le lien entre gènes et réponse aux médicaments. Med Sci. 2004
  3. N. Picard et al. La pharmacogénétique, une discipline devenue incontournable. Actualités pharmaceutiques. 2022
  4. S. Rod Rassekh et al. La pharmacothérapie selon les gènes. J Paediatr Child Health. 2023
  5. X. Guchet. Médecine personnalisée versus médecine de la personne : une fausse alternative. Revue de la société de philosophie des sciences. 2017
  6. Plan Médecine France génomique 2025. Aviesan. 2016
  7. B. Jordan. Séquence du génome : la fin du commencement. Med Sci. 2022
  8. https://pfmg2025.aviesan.fr/patients-et-famille/la-medecine-genomique-appliquee-aux-cancers/


Commentaires ( 3 ) :
S
SantéEnAvant

mercredi 24 janvier 2024

Répondre

" Merci pour cette plongée fascinante dans la médecine personnalisée. Ça soulève beaucoup de questions sur la vie privée. Comment les chercheurs gèrent-ils ces données génomiques sensibles ? "

MMarie Aliset

jeudi 25 janvier 2024

" Merci pour votre retour et votre question. La gestion de ces données est particulièrement délicate effectivement. Les chercheurs en collaboration avec les instances en place œuvrent à les protéger (les données sont normalement codées et anonymisées par exemple). Il est essentiel que des protocoles soient établis de façon précise pour protéger au maximum le patient. Par ailleurs, ces données sont soumises au Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) entré en application en mai 2018. J'espère vous avoir amené des éléments de réponse. "

J
Jade

mercredi 24 janvier 2024

Répondre

" La section sur l'éthique est cruciale. Comment vous envisagez l'évolution des normes éthiques à mesure que la médecine personnalisée devient plus répandue ? "

MMarie Aliset

jeudi 25 janvier 2024

" Merci pour votre commentaire et votre question. Il est difficile de répondre à cette question. Ces données sont soumises au Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) entré en application en mai 2018 mais les aspects éthiques mis en exergue vont encore au-delà de ce règlement à mon avis. Il serait intéressant qu'un collectif d'experts élabore un autre règlement spécifique, plus stringent, pour encadrer encore plus l'utilisation des données génomiques. "

O
OnionBro

mercredi 24 janvier 2024

Répondre

" J'adore l'idée de la médecine personnalisée, mais cela soulève des préoccupations sur la centralisation des soins. "

S'inscrire à notre newsletter

Nous publions du contenu régulièrement, restez à jour en vous abonnant à notre newsletter.