La valeur des pleurs

La valeur des pleurs

Le fait de pleurer est plus complexe que le simple écoulement de gouttes d'eau et révèle une importance biologique, psychologique et sociologique derrière chaque larme versée.



“Aucune personne ne verse les mêmes larmes.” Cette citation souligne les différentes luttes émotionnelles auxquelles les individus sont confrontés, mais elle révèle également une vérité biologique cachée sur les larmes : chaque personne a une composition légèrement différente de ses larmes et de leur structure chimique. Il en existe trois types, chacun ayant son propre rôle et une composition chimique différente.


Les larmes basales recouvrent vos yeux et sont sécrétées tout au long de la journée. Associées au clignement des paupières, elles forment une fine couche liquide sur la rétine, ce qui aide à améliorer la vision et à protéger la surface de l'œil contre la poussière et les débris. Vos larmes transportent également une petite mais significative quantité d'oxygène et de nutriments vers la surface de vos yeux. Elles sont composées d’eau, de mucus, d’anticorps, de nutriments et de diverses huiles et lubrifiants permettant aux yeux de bouger sans friction.


Les larmes réflexes aident à éliminer les débris, à nettoyer les paupières et à protéger les yeux des effets nuisibles, comme lorsque vous coupez des oignons. Elles sont moins riches en lubrifiants, mais abondantes en eau et en molécules anti-inflammatoires.


Alors que les deux premiers types de larmes existent chez tous les mammifères, les larmes émotionnelles sont uniques aux humains. Elles apparaissent en réponse à des émotions fortes et jouent un rôle important dans la régulation à court terme de l'homéostasie, ainsi que comme indicateurs sociologiques. Les larmes émotionnelles contiennent plus d’hormones de stress et d’antidouleurs naturels que les autres types de larmes. Elles ont aussi un rôle thérapeutique, à la fois biologiquement et socialement (ce que l'on appelle un "bon gros chagrin").



L'importance biologique des larmes

Les larmes, en particulier les larmes émotionnelles, ont un impact biologique significatif sur le corps humain. Pleurer réduit les niveaux de cortisol dans le sang, renforçant ainsi la réponse du système immunitaire et diminuant la quantité d’espèces réactives de l’oxygène présentes dans le sang. De plus, un bon pleur stimule également le système nerveux parasympathique, qui aide à "rationaliser" les pensées et favorise la sortie de l'état de "combat ou fuite". Ce processus peut jouer un rôle dans la réduction de la détresse et l’induction d’émotions positives chez une personne qui pleure. L’activation du système nerveux parasympathique est associée aux processus de repos, de récupération et de relaxation. Un autre avantage de cette activation est la diminution de la pression artérielle et du rythme cardiaque juste avant les pleurs. Les larmes humaines pourraient également contenir un facteur de croissance nerveuse, excrété par la glande lacrymale.


Figure 1: La position de la glande lacrymale. Copyright by Mayo Foundation,
https://www.mayoclinic.org/tear-glands-and-tear-ducts/img-20008059


Les hommes sont biologiquement, mais aussi sociologiquement, moins enclins à pleurer. Ils ont des canaux lacrymaux plus petits, moins de prolactine et plus de testostérone. La prolactine favorise la compassion et donc les larmes, tandis que la testostérone inhibe les pleurs par plusieurs voies indirectes. Les hommes pleurent environ cinq fois moins que les femmes, mais ce ratio est moins marqué dans les pays où les expressions émotionnelles sont plus acceptées socialement.



La portée psychologique des larmes…

Les larmes émotionnelles sont liées à notre état mental. Elles produisent des effets similaires, quelle que soit l’émotion qui les déclenche, et calment toujours la personne qui pleure. Les émotions et événements les plus susceptibles de provoquer des larmes varient considérablement en fonction de la culture, de l’âge, du sexe et de l’éducation, mais certaines émotions, comme l'impuissance et le désespoir, notamment lorsqu'elles sont liées à une perte, sont universelles.

En plus des canaux lacrymaux, le fait de pleurer implique également l'activation des muscles du visage, du système vocal, ainsi qu'une accélération de la respiration. C’est aussi souvent perçu comme éprouvant, en raison de la forte implication émotionnelle. De nombreux processus biologiques se produisent simultanément, y compris l'activation du système nerveux parasympathique mentionné précédemment. Pleurer peut aider à soulager et à organiser des émotions intenses, en particulier lorsque celles-ci proviennent de plusieurs sources. En présence de douleur physique, les larmes contiendront plus d’antidouleurs naturels pour soulager la douleur et ainsi aider à démêler les émotions associées.



… mais aussi sociologique

Les pleurs permettent souvent de tisser des liens entre les individus et peuvent susciter de l’empathie et de la compassion chez les autres, apaisant ainsi la colère ou les émotions désagréables qui ont déclenché les larmes. Depuis la naissance, les pleurs sont un signal clair pour notre entourage indiquant que nos besoins ne sont pas satisfaits, qu’il s’agisse de nourriture, de confort ou d’autres nécessités. Ce principe reste valable tout au long de notre vie, sous une forme légèrement différente. Les pleurs auraient également pu jouer un rôle dans l’évolution de la société, en rapprochant des individus initialement méfiants pour en faire une communauté cohérente.

Cependant, le fait de pleurer (ou l’absence de larmes) est aussi profondément influencé par le cadre culturel et familial. Ceux qui ont grandi dans un environnement strict peuvent éprouver des difficultés à pleurer si leur société perçoit cela comme un signe de faiblesse ou comme un comportement inapproprié en public, voire même au sein de la famille. Réprimer ses larmes dans un tel contexte est appelé "coping répressif" et peut affaiblir le système immunitaire, et augmenter ainsi le risque de maladies cardiovasculaires, d’hypertension et de troubles mentaux.



Un dernier regard sur les larmes

Un sujet particulièrement intéressant est l’étude des personnes qui pleurent trop ou, à l’inverse, qui sont incapables de pleurer, en raison d’une absence ou d’une suractivation de certains circuits neurologiques et régions cérébrales. Les larmes ne sont pas de simples gouttes d’eau versées dans un but unique : elles sont une expression de notre identité, à la fois mentale et chimique, et elles contribuent à maintenir l’homéostasie dans les deux sens. La recherche se poursuit pour mieux comprendre les bienfaits et les causes des pleurs. Ce que nous pleurons et la manière dont nous pleurons peuvent être un indicateur direct de notre état mental et un marqueur diagnostique de certaines maladies mentales. 


References:

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11 février 2025
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