Le dilemme des thérapies immuno-checkpoints

Le dilemme des thérapies immuno-checkpoints

Un nouveau type de thérapie a fait son apparition depuis une dizaine d’années : les thérapies immuno-checkpoints. Ce type de thérapie a été mis en place et a prouvé son efficacité dans la lutte contre de nombreux cancers. Un checkpoint immunitaire correspond à un point de contrôle, sous forme de récepteurs à la surface des cellules immunitaires. C’est en quelque sorte un interrupteur qui permettrait d’éteindre ou d’allumer la cellule. Ces thérapies ont vu le jour grâce au développement, depuis une vingtaine d’années, d’anticorps monoclonaux. Ils ressemblent à ceux qu’on produit naturellement mais sont façonnés pour cibler spécifiquement quelque chose à la surface d’une cellule. Ces anticorps particuliers jouent le rôle d’un scotch qu’on placerait sur l’interrupteur pour le maintenir dans une position ou une autre. Aujourd’hui, l’utilisation de ces molécules est en cours d’approbation pour le traitement d’autres maladies.

Le ying et le yang


Il existe différents types de cancer qui peuvent être classés de manières simplifiées dans deux catégories : les cancers solides ou liquides. Différents travaux ont montré qu’il existait dans les cancers solides un environnement immunologique bien particulier. Les cellules immunitaires sont présentes au sein des tumeurs et pourtant ces dernières ne sont pas éliminées. Autrement dit, l’ennemi est présent mais les soldats ne le combattent pas. Les cellules saines deviennent tumorales et sont dans un premier temps éliminées car elles libèrent des signaux de danger et portent également des nouveaux motifs (néo-antigènes). Pour imager cela, prenons l’exemple d’une foule de gens dans laquelle un groupe de renégats a pour signe de ralliement un béret rose sur la tête (cellules cancéreuses). Les soldats de notre armée (les cellules immunitaires) vont facilement les repérer pour les arrêter (voir l’article « Les soldats de l’immunité en action »). Cependant, le système immunitaire va exercer une pression de sélection sur ces cellules tumorales qui vont muter et devenir immuno-résistantes. Dans la foule, les renégats sont forcés de changer leur signe de ralliement pour éviter d’être ciblés et vont troquer leurs bérets roses pour un bracelet noir, plus difficile à détecter. L’équilibre est tout de même maintenu pendant un temps, tant que les cellules susceptibles de déclencher une réaction immunitaire sont présentes. Tant qu’il reste quelques bérets roses en vue, les soldats interviennent. Enfin, lorsqu’il ne reste que les cellules tumorales immuno-résistantes, la progression du cancer devient inévitable dans les tissus car les cellules tumorales vont présenter un environnement qui est globalement immunosuppressif. Les renégats sont moins visibles, se multiplient et évitent les soldats. De plus, les cellules qui sont passées du côté obscur relarguent des cytokines (des messagers) qui bloquent les cellules immunitaires et recrutent les Treg : les gendarmes qui contrôlent les soldats.

Figure 1 : Balance entre équilibre et échappement immunitaire

(Source: Immune Suppression and Tumor Growth, Cancer Immunotherapy, 2013)

Le prix Nobel

Le développement d’anticorps ciblant les checkpoints immunitaires s’est fait en parallèle de la recherche anti-cancéreuse. Les mécanismes d’immuno-régulation dépendent de la présence de certains récepteurs à la surface des cellules. En effet, l’activation ou l’inhibition (interrupteur) des cellules immunitaires se fait en accord avec différents signaux associés à la présence de ces récepteurs (câbles). Pour que l’interrupteur fonctionne, il faut que le circuit électrique auquel il est relié soit fonctionnel et associé à différents câbles. Ces récepteurs sont en réalité ce qui définit les immuno-checkpoints.

→ Un des premiers récepteurs à avoir été découvert est CTLA-4. En effet, des chercheurs se sont rendus compte que cette protéine servait à la régulation négative des lymphocytes, elle sert à éteindre la cellule. CTLA-4 (inhibition=éteint) et CD28 (stimulation=allume) ont toutes les deux pour partenaire la même molécule CD86. Il faut imaginer que le circuit électrique est monté en série et qu’un chemin câblé qui éteint la cellule (CTLA-4/CD86) est plus fort en termes d’intensité par rapport au câblage qui allume la cellule (CD28/CD86).

→ L’autre récepteur inhibiteur star à avoir été découvert est PD-1 qui a été mis en avant depuis une dizaine d’année. La protéine PD-1 à la surface des lymphocytes interagit avec PD-L1 au niveau de la membrane des cellules cancéreuses ou des APC.

Les découvertes de CTLA-4 et de PD-1 ont valu le prix Nobel de Physiologie et de Médecine en 2018 aux chercheurs James Allison et Tasuku Honjo. Après la découverte de ces récepteurs, de nombreux travaux ont débuté pour déterminer quelles autres protéines pouvaient être impliquées dans ces checkpoints cellulaires et de nombreux candidats ont été découverts. Les biothérapies immuno-checkpoints consistent principalement à bloquer l’interaction entre le récepteur et son ligand. Pour cela, de nombreux anticorps monoclonaux ont été développés pour cibler ces protéines (scotch pour maintenir l’interrupteur dans la position désirée). Les travaux des professeur Allison et Honjo ont abouti à deux traitements anti-cancéreux respectivement l’ipilimumab et le nivolumab approuvé par la FDA contre le cancer de la peau.

Figure 2 : Représentation schématique de l’action de l’ipilimumab et du nivolumab.

(Source: https://docplayer.fr/72472187-Immuno-oncologie-en-pratique-opdivo-nivolumab-bms-nivolumab-bms-yervoy.html)

Un futur prometteur

Au regard de l’efficacité de ces immunothérapies dans les cancers, de nombreux projets de recherche ont vu le jour pour traiter d’autres maladies. C’est notamment le cas pour les maladies auto-immunes ou les maladies neurodégénératives. Dans une situation normale, les cellules immunitaires sont éduquées pour ignorer nos propres antigènes et ne pas réagir contre nous. Pourtant, chez certaines personnes le système immunitaire n’a pas bien été éduqué et va induire des maladies auto-immunes. C’est-à-dire que le système immunitaire va se retourner contre nous-même. Dans le diabète de type 1 par exemple, le système immunitaire reconnaît les cellules du pancréas comme étant dangereuses pour notre intégrité. Il recrute l’infanterie (immmunité innée) tout en relarguant des molécules qui vont également enrôler la cavalerie (immunité adaptative). La maladie d’Alzheimer en revanche est une maladie neurodégénérative qui est due à l’accumulation du β-amyloïde, qui va former une plaque à la surface des neurones et l’échange d’informations ne se fera plus. Il y aura alors une désolidarisation des neurones et une inflammation du cerveau. Pour ces maladies, les thérapies immuno-checkpoints viseront à bloquer les cellules immunitaires et bloquer les récepteurs activateurs afin d’éteindre les cellules pour éviter une inflammation chronique.




Figure 3 : Les récepteurs activateurs et inhibiteurs des lymphocytes T et les ligands correspondants

(Source : The immunological synapse as a pharmacological target, Pharmacological Research, 2018)

Les thérapies impliquant les immuno-checkpoints représentent un enjeu important dans les traitements à venir mais elles peuvent également être associées à des effets non désirables. En effet, forcer la levée de l’inhibition des cellules immunitaires peut engendrer de l’auto-immunité qui se traduit principalement par des inflammations de l’intestin, des hépatites ou encore des maladies du système hormonal. D’un autre côté, l’inhibition des cellules immunitaires peut entraîner de l’immunosuppression, une diminution des défenses immunitaires qui pourrait favoriser la prolifération de tumeurs. Pourtant, ces traitements sont une révolution et se présentent comme le traitement de choix dans les thérapies anti-cancéreuses pour les années à venir. La combinaison de ces thérapies immuno-checkpoints en synergie avec des soins préexistants permet d’optimiser des traitements qui étaient jusqu’alors peu efficaces. C’est pourquoi il est nécessaire de lutter contre ces effets indésirables. Pour cela, de nombreuses études de recherche de marqueurs se mettent en place afin de détecter et traiter au plus vite la survenue de ces effets indésirables.

Article rédigé par Anne Clerico

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17 mars 2021
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