Psychédéliques : un « trip » pour soigner notre esprit ?

Psychédéliques : un « trip » pour soigner notre esprit ?

Utilisés par l’homme depuis des millénaires, mais proscrits dans nos sociétés modernes, les psychédéliques renaissent aujourd’hui portant avec eux l’espoir de traitements révolutionnaires pour les maux de l’esprit.

 


Les psychédéliques sont des molécules psychoactives induisant une altération de l’état de conscience. Le terme a été introduit par le psychiatre britannique Humphry Osmond et se traduit littéralement par « qui révèle l’esprit ». Ces composés appartiennent principalement à trois grandes familles chimiques : les tryptamines, les phénéthylamines et les lysergamides. Ils peuvent être d’origine naturelle ou synthétique (fabriqués en laboratoire).




Illustration des différentes familles de psychédéliques selon leurs structures chimiques et leurs origines
(Adaptée d’après Kelmendi et al. Current Biology. 2022).

 

 

Voyage aux confins de la conscience

Psychédélique est un terme large dont la classification est débattue, regroupant plusieurs substances. Les psychédéliques dit « classiques » comme la psilocybine, le LSD ou la DMT, possèdent des propriétés hallucinogènes et sont structurellement très proches de la sérotonine. La sérotonine est un neurotransmetteur, une hormone du cerveau impliquée dans la régulation des émotions, le sommeil ou encore l’appétit. Les psychédéliques classiques produisent leurs effets hallucinogènes en se fixant sur le récepteur de la sérotonine 5-HT2A. D’autres substances psychoactives sont également regroupées dans la grande famille des psychédéliques sous le terme d’« atypique ». Il s’agit par exemple de la MDMA (ecstasy), de l’ibogaïne ou de la kétamine. Ces substances induisent respectivement une augmentation de l’empathie, des distorsions visuelles et sensorielles et un état dissociatif.

Les substances psychédéliques sont utilisées à des fins spirituelles et médicales depuis des millénaires par les Mayas, les Aztèques, mais aussi les Grecs et les peuples indigènes d’Amérique. Dans les années 1960, les psychédéliques ont également joué un rôle crucial dans l’émergence de la contre-culture aux États-Unis, notamment au travers du mouvement « hippie ». Aujourd’hui strictement régulés et interdits dans la plupart des pays, les psychédéliques pourraient revenir sous la lumière étant donné leur potentiel thérapeutique.

 


Une panacée pour la santé mentale ?

Les troubles psychiatriques affectent actuellement une personne sur huit dans le monde. Les traitements disponibles ne sont efficaces que pour un certain nombre de patients. Ainsi, on estime que 1/3 des patients souffrant de dépression sont résistants aux antidépresseurs. L’innovation dans ce domaine thérapeutique est donc un enjeu clef de la recherche. Les psychédéliques représentent un immense espoir au sein de la communauté scientifique et médicale, notamment en ce qui concerne leurs potentiels bénéfices thérapeutiques dans les troubles de l’humeur et anxieux.

En effet, depuis les années 2010, plusieurs études réalisées avec de rigoureux standards méthodologiques ont mis en évidence les potentiels effets thérapeutiques des psychédéliques. Plusieurs études ont rapporté qu’une dose élevée de psilocybine permet de diminuer les symptômes anxieux et dépressifs et d’améliorer l’optimisme chez 80 % de patients atteints d’un cancer avancé. D’autre part, chez des patients souffrant de dépression, des études ont mis en avant une diminution marquée des symptômes dépressifs en réponse à la psilocybine. Par ailleurs, l’eskétamine, molécule dérivée de la kétamine, a été récemment approuvée pour son utilisation conjointe avec un antidépresseur afin d’en augmenter l’efficacité. La MDMA, quant à elle, suscite un espoir colossal dans le traitement du stress post-traumatique où plusieurs essais cliniques ont mis en évidence son efficacité. Enfin, l’ibogaïne, substance active de l’iboga, une plante originaire d’Afrique, pourrait s’avérer efficace dans le traitement des addictions, malgré certains éventuels risques cardiaques.

L’ensemble de ces résultats sont prometteurs et suggèrent l’avènement d’une potentielle nouvelle ère des traitements pharmacologiques en psychiatrie. Si leur efficacité est avérée, les psychédéliques pourraient présenter plusieurs avantages : un faible nombre d’administration, des effets thérapeutiques rapides, peu d’effets secondaires et un profil toxicologique et addictif très faible. Quelques essais cliniques sont en cours pour déterminer leur efficacité sur un plus grand nombre de patients. En ce qui concerne la sécurité de leur usage, les principaux risques sont le « bad trip » ainsi que des séquelles à plus long terme comme des hallucinations persistantes.



Les psychédéliques, comment ça marche ?

Différents travaux de recherche indiquent que les psychédéliques induisent leurs effets hallucinogènes via le récepteur à la sérotonine 5-HT2A. Ils sont des agonistes de ce récepteur, car de manière similaire à la sérotonine endogène (produite par le cerveau), ils se fixent sur ce récepteur, puis l'activent. Les récepteurs 5-HT2A sont particulièrement exprimés dans le cortex préfrontal, une zone du cerveau impliquée dans les tâches cognitives et la prise de décision. Plus particulièrement, le cortex préfrontal joue un rôle primordial dans le contrôle des émotions en régulant des structures impliquées dans l’anxiété (comme l’amygdale) ou l’humeur (comme le raphé dorsal où sont localisés la majorité des neurones produisant la sérotonine).



Illustration du cerveau humain avec le cortex préfrontal, l’amygdale et le raphé dorsal.

 

Les psychédéliques induisent des effets à court et long terme, allant de la cellule aux réseaux neuronaux. Lors de l’administration d’un psychédélique classique, celui-ci va se fixer sur le récepteur 5-HT2A à la surface de certains neurones. Cette fixation induit plusieurs mécanismes à l’intérieur de la cellule, dont notamment une augmentation de l’activité de ces neurones. Cette augmentation de l’activité des neurones permet une amplification de la communication entre eux. A une échelle plus large, les modifications de l’activité de certains neurones permettent de réguler d’autres zones du cerveau, notamment celles impliquées dans le traitement des émotions.

Les psychédéliques sont également des substances favorisant la neuroplasticité en régulant l’expression de gènes spécifiques. La neuroplasticité désigne un processus de transformations structurelles et fonctionnelles des neurones, en réponse à divers stimuli. Plusieurs études rapportent que les psychédéliques permettent de modifier la morphologie des neurones ou encore d’augmenter leurs ramifications. Les processus de neuroplasticité induits par les psychédéliques pourraient ainsi permettre un réarrangement des connexions neuronales, sous-tendant leurs effets thérapeutiques. Une hypothèse est que ces réarrangements neuronaux pourraient faciliter l’abandon de certaines croyances ou schémas de pensée responsables de comportement mal-adaptatifs.

 

Schéma représentant les mécanismes d’action des psychédéliques et leurs effets à court et long terme

 

Intimement liés à leurs effets sur le cerveau, les effets des psychédéliques sur le plan psychologique pourraient également expliquer leurs effets thérapeutiques. En l’occurrence, ces substances peuvent réduire l’intégration des stimuli négatifs, les ruminations, favoriser les interactions sociales et rétablir une réponse physiologique aux récompenses, souvent altérées dans les troubles psychiatriques. En outre, les psychédéliques ont la propriété de dissoudre l’ego qui pourrait, selon certains chercheurs, être la clef de leur action thérapeutique. Ainsi, plusieurs études montrent qu’une expérience positive de dissolution de l’ego induite par les psychédéliques est corrélée avec un meilleur résultat thérapeutique. Ces études mettent en avant une question primordiale au sein de la communauté scientifique : le « trip » est-il indispensable aux effets thérapeutiques des psychédéliques ? En effet, certains chercheurs ont mis en évidence chez l’animal des propriétés antidépressives et anxiolytiques de composés dérivés de psychédéliques, mais dépourvus d’effets hallucinogènes. Les essais cliniques de ces composés non-hallucinogènes sont actuellement en cours.

Le chemin est encore long avant que les psychédéliques puissent un jour intégrer notre pharmacopée. Néanmoins, les résultats sont prometteurs et les psychédéliques sont aujourd’hui l’objet d’une immense attente dans le domaine de la santé mentale et de la psychiatrie.

 

 

 


Sources :

1. Cameron et al. 2020. A non-hallucinogenic psychedelic analogue with therapeutic potential. Nature. 2020.

2. Kelmendi et al. Psychedelics. Current Biology. 2022

3. Kwan et al. The neural basis of psychedelic action. Nature Neuroscience. 2022 

4. McIntyre et al. Treatment-resistant depression: definition, prevalence, detection, management, and investigational interventions. World Psychiatry. 2023.

5. Vollenweider & Preller. Psychedelic drugs: neurobiology and potential for treatment of psychiatric disorders. Nature Reviews Neuroscience. 2020.


Commentaires ( 2 ) :
O
OnionBro

mercredi 24 janvier 2024

Répondre

" L'article explique bien les mécanismes d'action des psychédéliques. "

E
EspritLibre78

mercredi 24 janvier 2024

Répondre

" Fascinant de voir comment les psychédéliques, longtemps stigmatisés, font leur retour dans la recherche médicale. Est-ce que vous pourrez partager des exemples concrets de traitements réussis avec ces substances ? "

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