Thymus et éducation lymphocytaire

Thymus et éducation lymphocytaire

Notre système immunitaire a un système de défense et d’attaque très élaboré. Nos soldats subissent un entraînement drastique au sein d’une structure spécifique : le thymus. Ils pourront ensuite mettre en place une riposte mesurée avec des dommages collatéraux contrôlés.


Le thymus est un organe permettant la maturation des lymphocytes T (LT), cellules de l’immunité adaptative. Pendant la transition dans le thymus, les cellules vont acquérir le récepteur des cellules T (TCR). Celui-ci est indispensable pour l’échange avec les cellules présentatrices d’antigènes (CPA) au cours de la synapse immunologique. Finalement, cet ensemble d’interactions contribueront à la mise en place d’une réponse contre l’ennemi. A différents stades de maturité, il y aura des remaniements et des recombinaisons génétiques irrévocables qui aboutiront à la formation d’un TCR fonctionnel. De plus, les étapes de sélection positive et négative dans le thymus vont permettre la bonne reconnaissance du Complexe Majeur d’Histocompatibilité (CMH) à la surface des CPA et l’expression définitive du CD8 ou CD4 qui sont les récepteurs caractéristiques des LT cytotoxiques et des LT effecteurs. Plusieurs phases de tests vont se mettre en place et les cellules immunitaires qui échouent seront éliminées.

 

Le thymus, un éducateur hors pair

Le thymus est l’organe permettant la maturation et l’éducation des lymphocytes T (LT). Cet organe va grossir jusqu’à l’âge adulte, et il va ensuite rétrécir et s’atrophier au cours du temps. C’est en partie la raison pour laquelle les personnes d’un âge avancé sont plus fragiles, car elles ont moins de capacité et mettent plus longtemps à éduquer les lymphocytes contre de nouveaux dangers. Le thymus est délimité entre des zones corticales situées principalement au niveau des contours de l’organe et des zones médullaires qui sont internes et centrales.

Figure 1: Schéma simplifié du thymus. (Adapté de The immune system, 4th édition, Garland Science 2015.)


Au sein du thymus on retrouve de nombreux types cellulaires. Contrairement à ce que l’on peut penser, les thymocytes ne sont pas les cellules du thymus. Un thymocyte est un lymphocyte en cours de maturation dans le thymus qui devient à la fin de son voyage un lymphocyte T dit « naïf ». Les thymocytes dans le cortex sont au contact des cellules épithéliales thymiques corticales (cTEC) qui jouent un rôle majeur dans la sélection positive. Dans la zone médullaire on retrouve diverses cellules dont des macrophages, des cellules dendritiques et des cellules épithéliales thymiques médullaires (mTEC) qui sont nécessaires pour la sélection négative. Ces deux mécanismes sont indispensables à l’éducation de nos futurs lymphocytes et à la mise en place de la tolérance centrale. Cependant, avant de rentrer en détails dans ces mécanismes, il faut d’abord que les thymocytes acquièrent leur TCR.

 


La genèse du TCR, le récepteur des cellules T

Lors de leur arrivée dans le thymus, les thymocytes sont au stade double négatif (DN) car ils n’ont ni CD4 ni CD8 pour le moment. C’est au cours de leur voyage dans le thymus qu’ils vont exprimer l’un ou de l’autre. Le TCR à la surface de nos lymphocytes T interagit avec le CMH à la surface des cellules présentatrices d’antigènes [T*1] (CPA). Les antigènes sont des morceaux de cellules qui sont présentés par les CPA aux lymphocytes pour activer la réponse immunitaire dite adaptative. Les cellules dendritiques (DC) sont des CPA et vont jouer un rôle majeur dans l’éducation de nos lymphocytes. Il existe plusieurs types de TCR, mais le plus représenté dans nos LT est le TCR formé des chaînes α et β. La présentation d’antigène fonctionne comme un système de clé-serrure (voir article Les soldats de l'immunité en action). Le système immunitaire doit faire en sorte que le TCR, notre clé, puisse s’adapter à toutes les formes de serrures possibles CMH + antigène. Comme dans un jeu pour enfant, il faut réussir à faire rentrer des triangles, carrés et autres formes (CMH + antigène) dans le bloc correspondant (TCR). Pour cela, il faut avoir à notre disposition un maximum de blocs de formes diverses et variées.

Figure 2: Réarrangement du TCR dans le thymus. (Adapté de https://www.youtube.com/watch?v=hhDtU0M6k5I.)


La solution se trouve dans nos gènes (voir articles L’ARN messager, ce nouveau héros et La protéine, cette star inconnue). En effet, le gène d’un TCR contient les segments alléliques VDJ pour chacune de ses chaînes α et β.  Durant la maturation des thymocytes, il y aura des réarrangements par des coupures et des réparations. Au stade DN2, on aura le réarrangement de la chaîne β et à la fin du stade DN4, le réarrangement de la chaîne α. En plus de cette diversité apportée par les allèles, il existe de multiples possibilités d’association entre chaînes α et β. Enfin, le fait que les réparations peuvent présenter de légères erreurs amène de la diversité jonctionnelle, ce qui permet encore d’augmenter et de diversifier nos TCR. Si on considère les gènes comme un dessert et les allèles comme une pâtisserie, cela signifie qu’on a par exemple pour la chaîne β une part de tarte à la banane et pour la chaîne α une part de gâteau à la banane. Mais rien ne nous empêche d’avoir une part de tarte au chocolat et une part de gâteau au chocolat si on veut. De même qu’il est possible de varier les plaisirs en prenant une part de tarte à la banane et une part de gâteau au chocolat. Et si on se trompe dans la recette et qu’on met du chocolat dans notre gâteau à la banane, c’est varié et encore meilleur. Au final, les TCR seront très variés et pourront reconnaître de nombreux antigènes.

 

La sélection positive

L’éducation de nos lymphocytes T est rude et impitoyable, et l’échec se traduit par l’apoptose, c’est-à-dire la mort de la cellule. Pour les fans de jeux vidéo rétros, la cellule va en quelque sorte subir un fatality si elle ne passe pas les tests. Lors de la sélection positive, les thymocytes sont au stade DP double positif car ils expriment à la fois le CD4 et le CD8, et ils sont localisés toujours dans la zone corticale, appelée aussi cortex. L’enjeu de la sélection positive est que le thymocyte soit capable de reconnaître et soit restreint à notre propre CMH. On veut conserver les thymocytes dont le TCR a le plus d’affinité envers le CMH du soi, d’où une sélection dite « positive ». Les cTEC qui sont présents dans le cortex vont présenter leur CMH aux thymocytes pour que la sélection se fasse. Si un thymocyte reconnaît le CMH, un mécanisme de sauvetage se met en place. Tandis que les autres thymocytes, qui ont une faible ou pas d’interaction avec le CMH, entrent dans un programme de mort cellulaire. C’est également à cette étape que les thymocytes vont exprimer de manière irréversible soit le CD8 au contact du CMH de classe I, soit le CD4 au contact du CMH de classe II.

Figure 3: Schéma simplifié de la sélection positive. (Adapté de Haimila K., Genetics of T cell co-stimulatory receptors -CD28, CTLA4, ICOS and PDCD1 in immunity and transplantation, 2009.)




Sélection négative et tolérance centrale

Une fois qu’on est certain qu’il y aura bien une interaction entre le TCR et le CMH, il faut s’assurer qu’il n’y aura pas de détection de nos propres antigènes pour éviter que nos soldats se retournent contre nous-mêmes. On parle d’entraînement et d’éducation dans le thymus car à ce stade les mTEC vont servir de Miyagi sensei aux thymocytes qui ont réussi l’épreuve de la sélection positive. Les mTEC sont l’équivalent de DC, mais elles vont présenter les antigènes du soi, nos propres antigènes, aux thymocytes. Si l’affinité est trop forte, les thymocytes sont rendus incapacitants soit en entrant en anergie, soit par mort cellulaire. Les thymocytes qui ne réagissent pas ou peu avec les mTEC vont continuer leur maturation pour devenir des LT naïfs qui vont pouvoir ressortir du thymus et aller sur le front. L’ensemble de ces mécanismes permettent la mise en place de la tolérance centrale dans le thymus.



Figure 4: Schéma simplifié de la sélection négative. (Adapté de Liu W. et al., TSLP: An Epithelial Cell Cytokine that Regulates T Cell Differentiation by Conditioning Dendritic Cell Maturation, Annual Review of Immunology, 2007.)

 

Une certaine proportion des cellules qui ont eu une affinité modérée pour les antigènes du soi va être sélectionnée par les DC majoritairement. Ce sont des thymocytes qui expriment CD4 et CD25 à leur surface, qui deviendront des Treg. Le rôle des Treg sera de contrôler et de stopper les autres lymphocytes. C’est l’équivalent d’une police militaire qui vise à verbaliser les soldats qui sortent du droit chemin. Les Treg eux aussi pourront alors sortir du thymus et exercer la tolérance périphérique pour éviter par exemple la survenue de maladies auto-immunes.

 

L’éducation des lymphocytes est une phase très importante dans la mise en place des réponses immunitaires. Par l’intermédiaire de système de sélection drastique, les lymphocytes vont avoir la capacité de reconnaître le CMH et d’apprendre à ne pas réagir face à nos propres antigènes. C’est également à ce stade que les Treg vont être différenciés pour qu’il y ait une tolérance périphérique qui puisse se mettre en place.

De nombreuses thérapies impliquant les Treg sont actuellement en développement dans certaines maladies impliquant des défauts de tolérance. La majorité de ces thérapies se basent sur la modification et l’ingénierie des récepteurs à la surface des Treg pour les diriger vers les cellules hyperactivées et les rendre anergiques. C’est le cas dans les maladies du greffon contre l’hôte qui surviennent au cours des traitements contre les leucémies ; dans les transplantations d’organes ; ou encore dans les maladies auto-immunes comme le diabète de type 1.


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30 mars 2022
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