Rencontre avec Anton Zeilinger, prix Nobel de physique 2022
A l’occasion de la sortie du livre Le Bal des photons, les éditions Flammarion ont organisé une conférence avec son auteur, Anton Zeilinger. Retour sur ce moment exceptionnel.
Le 4 octobre dernier, Alain Aspect, John Clauser et Anton Zeilinger se voyaient récompensés par le prestigieux prix Nobel pour leurs travaux en physique quantique. Pour faire simple, leurs expériences ont permis d’ouvrir la voie à l’informatique quantique. Rien que ça !
L’homme qui manipulait les photons
Comme ses deux confrères, Anton Zeilinger a été récompensé pour l’ensemble de sa contribution dans le domaine de la physique quantique. Parmi ses achèvement notables, son équipe, sous sa supervision, a réussi en 1997 pour la première fois dans l’histoire à téléporter de l’information entre deux photons par le biais de l’intrication quantique (voir cet article pour quelques précisions). L’année suivante, il contribue à étendre les travaux d’Alain Aspect, confirmant ainsi définitivement les résultats du physicien français. Par la suite, il pousse ses travaux sur la téléportation quantique, allant jusqu’à téléporter une information sur plus de 100 km entre deux îles des Canaries, ce qui motivera les institutions privées et publiques à s’intéresser de plus près à cette technologie… Autant dire qu’un Nobel était amplement mérité !
La clarté d’un lauréat
La rencontre a eu lieu dans un amphithéâtre du Conservatoire national des Arts et Métiers. Interviewé par le directeur des éditions Flammarion, il était évident et normal que les questions ne soient pas d’ordre technique, et ses réponses furent impressionnantes de simplicité et de clarté. Au début de la conférence, le directeur de Flammarion lui a tout simplement demandé : « Qu’est-ce que la lumière ? ». Venant d’un prix Nobel ayant consacré une partie non négligeable de sa carrière à l’étudier, il avait probablement des dizaines de définitions à proposer, mais il se contenta de répondre : « C’est ce qui fait faire *CLIC* à un capteur de photons ». De mon point de vue, cette réponse brillante illustre toute la complexité de la physique quantique..
En quantique, on n’est sûr que de ce qu’on mesure et, pire encore, on ne peut pas tout savoir sur un système simultanément. Pour vous passer les détails, retenez qu’en physique quantique, on considère que la « lumière » est à la fois une onde (comme une vague sur l’océan) et une particule (une petite bille élémentaire de matière). Mais cette distinction est purement liée à ce que l’on est capable de mesurer et aux équations établies par les physiciens. En bref, la lumière est un étrange composant de l’univers, que l’on ne sait expliquer en physique « classique » qu’en combinant plusieurs théories !
Entre physique classique, quantique et science-fiction
Quelques questions plus tard, le sujet de la « téléportation » a été abordé. Des décennies de fiction ont fait entrer dans le dictionnaire une définition bien loin de son sens quantique, ce qui a justifié que M. Zeilinger nous en donne une meilleure.
En effet, la définition « science-fiction » de la téléportation, c’est de faire voyager instantanément de la matière d’un point A vers un point B. Le problème, c’est que cette définition bafoue l’ensemble des lois de la physique, y compris celles de la physique quantique. M. Zeilinger ajoute à ce propos, et non sans humour, qu’il s’agit avant tout d’un moyen low-cost de faire voyager des vaisseaux spatiaux, sans avoir besoin d’animer le décollage et l’atterrissage.
Ainsi, selon le prix Nobel, une définition plus exacte d’un point de vue physique serait la suivante : la téléportation, c’est enregistrer l’ensemble des informations d’un objet à un endroit A, transférer ces informations à un endroit B, et recréer l’objet à partir de ces informations. Cela reste bien au-delà de nos compétences actuelles, mais cela a le mérite d’être physiquement possible. Est-ce alors cela, la téléportation quantique ? Eh bien pas tout à fait encore !
L’expérience de téléportation quantique
Comme mentionné plus tôt, un des accomplissements majeurs de M. Zeilinger et de ses équipes est la téléportation quantique sur de petites, puis de longues distances. Pour faire simple, l’idée est d’avoir une source générant une paire de photons un peu spéciale. Leur spécificité, c’est qu’ils sont intriqués de manière à ce qu’ils aient toujours le même état. Lors de la conférence, M. Zeilinger a pris l’exemple de deux dés « quantiques », dont l’expérience est détaillée ci-dessous (et dans son livre) :
Dans l’expérience de téléportation quantique, on cherche à téléporter un bit d’information X (0 ou 1) d’un point A à un point B. Afin de permettre la téléportation d’état, le premier photon de la paire est envoyé à l’émetteur A, et le second au récepteur B. Une fois les deux photons arrivés, on va encoder l’information X dans le photon reçu par A. Or, étant donné que A et B sont dans le même état quantique, alors X sera également instantanément encodée dans B. Félicitations, vous avez réussi votre première téléportation !
Dans cette expérience, on remarque qu’aucune matière n’est transférée instantanément, seulement de l’information. A ce sujet, M. Zeilinger confiera qu’il préfère le terme de télécommunication quantique au terme de téléportation quantique, terme qu’il trouve plus proche de la réalité.
Encourager la recherche
A la fin de la rencontre, la parole a été laissée à l’auditoire pour une poignée de questions. Entre autres, on lui demandera son opinion sur l’informatique quantique. Il répondra qu’à l’époque de ses travaux, soit à la fin du siècle dernier, l’informatique quantique était vue comme un « modèle avec lequel jouer, sans recherche de performances », mais que cela avait changé aujourd’hui. Ainsi, bien qu’il ne croie pas en un remplacement total de toutes les technologies par du quantique, il s’est montré confiant quant à l’application du quantique pour des problématiques précises, en association des approches classiques.
Suite à une autre question, il motivera également les jeunes étudiants à faire carrière dans le domaine de la recherche, notamment en quantique, précisant que « le sujet est tellement vaste qu’il y a de quoi occuper les laboratoires pour des décennies ».
En complément de ce billet de blog arrivera prochainement une chronique littéraire sur Le Bal des photons.
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