L'odyssée du baiser dans l'évolution humaine

L'odyssée du baiser dans l'évolution humaine

Cette expression intime d'affection et de désir reste un phénomène complexe et universel au sein de la grande saga humaine.



Les racines profondes du baiser

Les premières traces du baiser remontent à 2500 ans avant J.-C. en Mésopotamie, dans les actuels Irak et Syrie. Les témoignages proviennent de textes. Cependant, les chercheurs estiment que cette pratique existait bien avant, car les écrits les plus anciens retrouvés en Mésopotamie, inventeurs de l'écriture cunéiforme, relataient initialement des textes liés à des pratiques administratives. Ce n'est qu'à la moitié du IIIe millénaire avant J.-C. que l'on retrouve des mythes, des incantations, et plus tard encore, des écrits de la vie quotidienne.

Le fameux premier baiser retrouvé par écrit n'est donc que le récit d'un texte mythologique racontant un rapport sexuel avec le baiser de deux divinités, dont la déesse Ninhursag.

« … avec la déesse Ninhursag, il eut des rapports sexuels. Il l’embrassa. Le sperme de sept jumeaux qu’il a fécondés dans son ventre. »

Le texte sur le cylindre de Barton décrit des baisers romantiques remontant à 2 500 av. J.-C. Aage Westerholtz, 


Dans les textes qui ont suivi, le baiser amoureux était décrit comme courant chez les couples mariés, mais faisait aussi partie du désir d'une personne non mariée. On retrouve également le baiser amical et familial, assez courant tout au long de l'histoire. Néanmoins, le baiser amoureux et sexuel n'était et n'est toujours pas considéré comme culturellement universel. Il a évolué avec le temps et les régions du globe. Selon le Dr Troels Pank Arbøll, expert en histoire de la médecine en Mésopotamie à l'université de Copenhague, « Le baiser ne doit pas être considéré comme une coutume originaire exclusivement d'une région et qui est répandue. Mais plutôt comme une pratique dans de multiples cultures anciennes. »


Actuellement, environ 10 % de l'humanité n'embrasse pas sur les lèvres. Parmi eux, on peut retrouver des habitants de l'Afrique subsaharienne, de la Nouvelle-Guinée ou de la forêt amazonienne. Quant à d'autres cultures, elles ont leur propre façon d'embrasser ; les Inuits préfèrent, dans leur cas, des mouvements de succion.



Et si on remonte encore plus loin

En 1960, le zoologiste britannique Desmond Marris a suggéré que le baiser aurait pu évoluer à partir de la pratique dans laquelle les mères primates mâchaient la nourriture pour leurs petits, puis les nourrissaient par bouche à bouche. Nos ancêtres auraient donc pu partir de ce point pour par la suite avoir une variété plus passionnée que l'on retrouve maintenant chez les hommes et des primates. Les bonobos, par exemple (nos très proches cousins), s'embrassent dans un but romantique et sexuel. Quant aux chimpanzés, des études ont montré qu'ils s'engagent dans des baisers platoniques pour gérer les relations sociales.



Entre séduction et maladie : les deux faces du baiser

S'embrasser n'a pas que des bénéfices, comme l'ont rapidement découvert les scientifiques et les historiens. Les anciens textes médicaux font allusion à une maladie similaire à l'herpès, suggérant que le baiser pourrait avoir joué un rôle dans la propagation de pathogènes tels que le virus de l'herpès simplex 1 (HSV-1), une infection bactérienne très contagieuse.



Les réponses du corps au baiser

Les lèvres sont densément peuplées en neurones sensoriels. Lorsque l'on embrasse notre partenaire, les neurones ainsi que la langue et la bouche envoient des messages au cerveau, déclenchant ainsi des sensations et des émotions intenses couronnées de réactions physiques. Si l'on regarde un peu plus ce qui se passe dans notre corps à ce moment-là, on constate que sur 12 nerfs crâniens, 5 sont à l'œuvre quand on embrasse. C'est un va-et-vient d'informations entre les lèvres, les joues, notre nez et le cerveau. Une partie des informations arrive au cortex somatosensoriel, surface du cerveau qui représente l'information tactile.


Schéma de la carte somatosensorielle. (Source : © SciencesHumaines,nov-dec2011)


Sur cette même carte, on voit que les lèvres occupent une place de choix. La taille de la région représentée est proportionnelle à la densité des terminaisons nerveuses.


Un baiser libère beaucoup de molécules chimiques dans notre corps. Parmi elles, on retrouve un cocktail de neurotransmetteurs telles que l'endorphine, la dopamine, la sérotonine, l'adrénaline et l'ocytocine, aussi appelée l'hormone du bonheur. Mais ce n'est pas tout, les endocrinologues ont également découvert que par le baiser, les femmes « essaient » une section du génome d'un possible partenaire, permettant ainsi de prendre des décisions sur le degré auquel ils sont génétiquement incompatibles. Pour cela, elles « goûtent » au complexe majeur d'histocompatibilité (voir article Thymus et éducation lymphocytaire d'Anne Clerico), le CMH. Il s'agit du code pour le système immunitaire. Une femme est par conséquent attirée par l'odeur des hommes qui ont un CMH différent du leur, ce qui leur permet à terme, d'un point de vue de l'espèce, d'avoir des enfants en meilleure santé et donc une plus grande chance de survie. Certains scientifiques pensent donc que le baiser et la fusion de nos lèvres auraient évolué parce que cela facilite la sélection du partenaire potentiel, grâce aux signaux chimiques communiqués dans la salive ou l'haleine.



Le french kiss, un bijou de séduction

En parlant de salive, nous, les Français, avons une particularité dans nos techniques de baiser. Le fameux french kiss, connu dans le monde entier, se révèle être en réalité un stimulateur de libido. Lorsque deux personnes pratiquent ce baiser qui nécessite d'ouvrir la bouche et de s'entortiller les langues mutuellement, on observe un important échange d'hormones entre les partenaires, notamment de testostérone, à laquelle la femme est particulièrement sensible. Au fil des semaines et des mois, le niveau de testostérone augmente, faisant ainsi croître leur libido, ce qui rend les partenaires plus réceptifs sur le plan sexuel.



Au-delà des lèvres

Alors que nous plongeons dans les mystères du baiser, des questions fascinantes émergent. En continuant à sonder ses aspects intrigants, nous pouvons espérer découvrir de nouveaux pans de notre histoire et de notre biologie humaines, renforçant ainsi le lien intime qui existe entre ce geste apparemment simple et les complexités de la nature humaine.




Sources :

1. Brooks, R. Curious Kids: why do people like to kiss? Do other animals kiss? The Conversation http://theconversation.com/curious-kids-why-do-people-like-to-kiss-do-other-animals-kiss-157322 (2021).

2. Rasmussen, S. L. & Arbøll, T. P. Earliest evidence of kissing pushed back 1,000 years. The Conversation http://theconversation.com/earliest-evidence-of-kissing-pushed-back-1-000-years-205762 (2023).

3. Wlodarski, R. & Dunbar, R. I. M. Examining the Possible Functions of Kissing in Romantic Relationships. Arch Sex Behav 42, 1415–1423 (2013).

4. Banfield-Nwachi, M. First records of human kissing may date back 1,000 years earlier than estimated. The Guardian (2023).

5. Hendrie, C. A. & Brewer, G. Kissing as an evolutionary adaptation to protect against Human Cytomegalovirus-like teratogenesis. Medical Hypotheses 74, 222–224 (2010).

6. Kissing helps us find the right partner – and keep them | University of Oxford. https://www.ox.ac.uk/news/2013-10-11-kissing-helps-us-find-right-partner-%E2%80%93-and-keep-them.

7. Alpert, J. Philematology: The Science of Kissing. A Message for the Marital Month of June. The American journal of medicine 126, 466 (2013).

8. Pucker up: The art of kissing. The Independent https://www.independent.co.uk/life-style/love-sex/romance-passion/pucker-up-the-art-of-kissing-6668095.html (2012).

9. Science. Tout, tout, tout, vous saurez tout sur le baiser. Courrier international https://www.courrierinternational.com/article/2012/02/14/tout-tout-tout-vous-saurez-tout-sur-le-baiser (2012).

10. Arbøll, T. P. & Rasmussen, S. L. The ancient history of kissing. Science 380, 688–690 (2023).

11. Wlodarski, R. & Dunbar, R. I. M. What’s in a Kiss? The Effect of Romantic Kissing on Mate Desirability. Evol Psychol 12, 178–199 (2014).

12. Walter, C. Why We Kiss. Scientific American https://www.scientificamerican.com/article/why-we-kiss/ (2016).

Commentaires ( 2 ) :
C
Charles

mercredi 24 janvier 2024

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" L'explication sur le french kiss est vraiment intéressante ! "

N
Nora

mercredi 24 janvier 2024

Répondre

" Passionnant de découvrir l'histoire profonde du baiser ! J'ai été particulièrement intrigué par les liens entre les pratiques anciennes et les études modernes sur les réponses du corps. "

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