La dépression, une maladie également intestinale ?

La dépression, une maladie également intestinale ?

Le trouble dépressif majeur touche 15 à 20 % de personnes de tout âge dans le monde. Les connaissances sur cette maladie sont incomplètes, mais un nouveau domaine d’investigation est le microbiote intestinal.

 


Une maladie répandue invalidante

D’après l’Organisation mondiale de la santé, le trouble dépressif, également connu sous le terme de dépression, est un trouble mental courant. Il se caractérise par la présence d'une humeur dépressive ou d'une perte durable de la capacité à éprouver du plaisir ou de l'intérêt. Ce trouble psychiatrique incapacitant est la principale cause d’invalidité dans le monde et est associé à 800 000 décès par suicide par an. Un patient sur deux ne répond pas assez ou pas du tout à son traitement. (Voir article « La dépression : plus qu’un simple coup de blues »)

 


Microbiome, microbiote, késako ?

Depuis quelques dizaines d’années, on s’intéresse à nos intestins qui seraient notre “2e cerveau”. Aussi, on cherche quel est leur rôle dans la dépression et quelles réponses ils pourraient apporter à cette maladie, en approfondissant nos connaissances sur cet organe si longtemps négligé. Le microbiome humain est l’ensemble des micro-organismes que l'on retrouve sur toute la surface du corps, en particulier dans la bouche, les intestins et le vagin, ainsi que sur la peau et dans les yeux. Le microbiote est l'ensemble des micro-organismes (bactéries, microchampignons, protistes) vivant dans un environnement spécifique. Par exemple, le microbiote intestinal est considéré comme nécessaire, et donc intégré à la fonction d'hôte que certains décrivent cette population comme un organe négligé. (Voir article « Notre 2e cerveau »)

 


L’axe cerveau-microbiote intestinal, un axe majeur

L’axe cerveau-intestin est une notion née dans les années 1980, puis elle a évolué pour devenir l’axe cerveau-microbiote intestinal. Les microbes intestinaux situés dans l’axe cerveau-intestin communiquent avec le cerveau via les hormones, des molécules messagères du système nerveux (neurotransmetteurs) et par le système immunitaire. Le cerveau peut affecter le microbiote intestinal par le système nerveux autonome en modulant le transit intestinal.

Interactions entre le cerveau et les intestins (doi: 10.3389/fpsyt.2020.00541)

 


Quel lien entre microbiote intestinal et dépression ?

De plus en plus de preuves montrent un lien entre le profil du microbiote intestinal et la dépression à travers l’axe cerveau-microbiote intestinal. Par exemple, l’administration d'antibiotiques à large spectre chez la souris conduit à une dysbiose (déséquilibre entre bonnes et mauvaises bactéries), à un comportement de type dépression et à une altération des fonctions neuronales. Cet état est réversible grâce à un traitement probiotique avec Lactobacillus casei DG. La transplantation de matière fécale de patients atteints de dépression dans des souris saines induit un comportement dépressif. Les traitements antidépresseurs modifieraient le microbiote intestinal.


Certains types de bactéries sont retrouvées en plus petit nombre chez les personnes atteintes de troubles dépressifs (Lactobacillus ou Bifidobacterium). Celles-ci ont un effet anti-inflammatoire. D’autres bactéries interagissent directement avec le système immunitaire et créent des inflammations. Une activation du système immunitaire par ce biais pourrait potentiellement donner des symptômes psychiatriques. Toutefois, les différences de profils de bactéries entre individus sains et malades sont encore en discussion. En effet, les bactéries retrouvées dans les intestins varient d’une population à l’autre, notamment à cause de l’alimentation. Cependant, des fonctions essentielles identiques ou similaires peuvent être exécutées par une variété de bactéries différentes. Certains chercheurs se sont donc focalisés sur les différences de fonctions entre les individus sains et les individus malades. Chez les individus sains, il y aurait plus de bactéries métabolisant les sucres alors que chez les patients malades, il y aurait plus de bactéries métabolisant les protéines. Chez les femmes, un lien a été fait entre la consommation de protéines et la sévérité des symptômes, mais ce lien serait limité par les facteurs génétiques.


Certaines bactéries produisent des vitamines (surtout la vitamine B9) dont les faibles taux sont corrélés avec la sévérité des symptômes de la dépression. Chez les patients dépressifs, ces bactéries sont en plus faible quantité. De plus, certains troubles comme l’inflammation des intestins augmentent également cette sévérité. Enfin, des bactéries intestinales comme Bifidobacterium produisent des molécules servant à la communication dans le cerveau, notamment la dopamine et la sérotonine impliquées dans les troubles dépressifs. La modulation de la production de neurotransmetteurs est donc un moyen possible par lequel le microbiome intestinal peut affecter le cerveau, avec un lien direct à la dépression.

 


L’espoir de nouvelles thérapies personnalisées

Les troubles dépressifs majeurs ne se soignent pas qu’avec des médicaments, bien que ceux-ci soient en première ligne. La psychothérapie est complémentaire. Parfois, lors de résistance aux traitements, l'électroconvulsivothérapie (traitement au cours duquel un courant électrique est envoyé au cerveau grâce à des électrodes placées au niveau de la tête) est préconisée.


Comme les mécanismes sous-tendant la dépression sont encore inconnus, l’étude de l’axe cerveau – intestin est un challenge pouvant mener à de nouvelles thérapies. Par exemple, chez la souris, l’administration de Bifidobacterium augmente la résistance au stress alors que l’administration de bétaïne (pigment végétal extrait de la betterave sucrière, qui donne sa couleur rouge) diminue l’anhédonie (incapacité à ressentir le plaisir). Toujours chez la souris, l’injection d’acides gras à chaînes courtes atténue les comportements dépressifs induits par le stress. Chez l’humain, les symptômes dépressifs s’amélioreraient avec la prise de probiotiques ou avec des changements de diète. Des recherches sont encore nécessaires pour le développement de nouveaux traitements et une compréhension plus détaillée de la physiopathologie des troubles dépressifs, mais l’étude de l’axe cerveau-microbiote intestinal offre beaucoup de possibilités et de perspectives.

 



Sources :

1.     Zahra Amirkhanzadeh Barandouz et al. Altered Composition of Gut Microbiota in Depression : A Systematic Review. Frontiers in Psychiatry. 2020.

2.     Lijia Chang et al. Brain-gut-microbiota axis in depression : A historical overview and future directions. Brain Research Bulletin. 2023.

3.     Stephanie G. Cheung et al. Systematic Review of Gut Microbiota and Major Depression. Frontiers in Psychiatry. 2019.

4.     INSERM. [En ligne] Paris. Dépression - Mieux la comprendre pour la guérir durablement. Publié le 14/06/2017. Modifié le 06/12/2019. Cité le 09/04/2024. https://www.inserm.fr/dossier/depression/

5.     OMS. [En ligne] Genève. Trouble dépressif (dépression). Publié le 31/03/2023. Cité le 09/04/2024. https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/depression

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17 avril 2024
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